CFP 2023
C2 – La transe cognitive auto-induite, outil thérapeutique ?
Conférence de Corine SOMBRUN et François FERON – Jeudi 30 novembre 2023 à 13h45

Il existe partout des pratiques de la pensée et des sens qui mobilisent spontanément les deux, et ce sont en elles que réside la clé pour ouvrir des passages vers les territoires vivants qui nous fondent.
(B. Morizot, Manières d’être vivant)

Après les débats et conférences autour du “renouveau psychédélique” ces dernières années, la clinique des expériences exceptionnelles l’an dernier, l’accueil de la transe chamanique au CFP cette année poursuit le rêve d’une psychiatrie sensible à des formes d’expériences peu étudiées avec les outils actuels de l’exploration neurophysiologique et psychologique.

La vibration du tambour

Elle était venue réaliser un reportage sur le chamanisme en Mongolie. Le son et le rythme du tambour avaient suffi à l’entraîner malgré elle dans une transe où l’attendait un loup, métamorphose profonde qui lui donnerait accès à des territoires inconnus, en soi et dans l’entre qui relie au monde. Elle avait au passage perturbé le chamane qui officiait, s’exposant à de vives remontrances et à l’injonction de suivre une formation de plusieurs années pour ne pas laisser ses potentialités chamaniques non maîtrisées ruiner son avenir en malheurs prévisibles !

Les ondes du cerveau

Des années plus tard, formée et forte d’une expérience chamanique consistante, elle partait à la rencontre de chercheurs qui accepteraient d’étudier ces transformations profondes de la conscience de soi et du monde, ouvrant un accès à des perceptions, des sensations, des intuitions et des ressources personnelles hors du commun, émergeant pendant la transe.

Le récit de cette rencontre avec les chercheurs et les appareils à mesurer des neurosciences est aussi surprenant et réjouissant que celui consacré à sa formation de chamane. Il aura fallu déclencher la transe et assurer son déroulement en respectant les exigences méthodologiques des machines. Fini le tambour, les bonds en tout sens, les cris… l’EEG et l’IRM ne négocient pas avec les sujets agités. A chaque obstacle sa solution, l’effort d’imagination et la persévérance rendront possibles les premiers enregistrements, l’acquisition d’images, l’étude de paramètres électrophysiologiques et biologiques.

Interprétation pathocentrée

Premiers résultats, premières inquiétudes : en raison d’analogies des tracés avec ceux d’états pathologiques, on lui recommande vivement d’arrêter la pratique de la transe par crainte de “rester bloquée” dans cet état altéré de conscience, dépersonnalisant, psychotic-like dirait-on dans le jargon de nos approximations. Scepticisme et protestation d’Enkheytuya, la chamane tsataan qui l’a formée et ne méconnaît pas ce risque. Il justifie d’ailleurs la formation qu’elle a suivie pour la rendre apte à entrer et sortir de la transe sans dommage pour sa vie psychique.

Une autre clé de lecture pour ouvrir un passage vers l’inexploré

La réalité ne serait-elle pas un peu plus complexe ? Comment la confronter à une pratique millénaire qui occupe une place centrale dans l’équilibre de nombreuses sociétés traditionnelles ?  Peu à peu s’impose une lecture différente, il y a des proximités avec des enregistrements en méditation, sous hypnose, ou sous substances psychédéliques. Les efforts n’ont pas été vains, et le travail peut se poursuivre dans de nouvelles directions : la transe chamanique n’est-elle réservée qu’à un petit nombre de personnes disposant de particularités psychologiques, cognitives, sensibles ? Que nous apprend-elle de notre fonctionnement psychique ? Peut-elle être utilisée à des fins thérapeutiques ?

Il y a déjà des éléments de réponse à ces questions. Elle nous en parlera sûrement le 30 novembre à Lyon. On en rêve déjà.

Christophe Recasens,
Créteil

Reférences :

La Diagonale de la joie, Éd. Pocket / 2022

Mon initiation chez les chamanes Éd. Pocket / 2019