CFP2023
C2 – La transe cognitive auto-induite, outil thérapeutique ?

Président : Renaud David – Nice
Conférenciers : Corine Sombrun – Paris et François Féron – Aix-Marseille

Alors souvent on a entendu qu’il y avait les vraies thérapies, comme les médicaments, et puis les autres, ces médecines alternatives, ou non conventionnelles, celles qui souffrent parfois de validation scientifique et de fort niveau de preuve pour pouvoir les placer au même niveau que les autres. Et si en plus on parle d’expérience transcendantale chamanique mongole…

Corine Sombrun et les états non-ordinaires de conscience

Pourtant c’est l’histoire de Corine Sombrun, d’abord musicologue et créatrice de contenu musical pour la BBC, qui s’est retrouvée propulsée chamane (vous avez en vous ou non cette prédisposition et, a priori, seul un chamane peut le repérer), malgré elle, au cours d’un voyage professionnel en Mongolie. Pour la faire courte, elle a suivi la révélation d’un chamane rencontré sur place et s’est « laissée » initiée pour devenir elle-même chamane après un parcours initiatique de plusieurs années. Elle a surtout décidé, par la suite, de se rapprocher d’une équipe de scientifiques (l’équipe du Professeur François Féron de l’Université Aix-Marseille) afin de mesurer les modifications cérébrales de la transe, en parallèle de la mise au point de la technique de transe cognitive auto-induite (permettant d’induire un état de transe sans tambour chamanique, sans substance psychoactive).

 

Les effets subjectifs et objectifs de la transe chamanique sur le cerveau

Tout d’abord, la transe appartient à la catégorie des états non-ordinaires de la conscience (état transitoire pouvant entraîner des transformations maintenues dans le temps sur la cognition et la santé physique et mentale), comme l’hypnose, la méditation, les rêves lucides, les expériences de mort imminente. Même si les travaux scientifiques sur la transe restent encore insuffisamment développés, plusieurs données sont à considérer. Ainsi, à l’EEG des sujets chamanes, on observe une augmentation de la puissance des ondes gamma (traduisant le plus haut niveau de concentration d’un individu). Pour rappel, les ondes EEG sont classées par ordre de fréquence croissante en Hertz : delta, thêta, alpha, bêta, gamma. À l’IRM fonctionnelle, on observe une activité accrue dans les régions temporales, orbito-frontales, occipitales latérales, cingulaire postérieur. On observe également une augmentation de la connectivité dans le réseau du mode par défaut (c’est à dire l’activité cérébrale mesurée quand on ne fait rien).

De manière globale, les modifications EEG observées dans la transe chamanique ont des patterns qui diffèrent des états hypnotiques, méditatifs ou de transe induite par les psychotropes, avec une augmentation importante de l’activité gamma et bêta (il n’existe, par ailleurs, pas de modifications des ondes dans le réseau du mode par défaut dans ces 3 modalités, comparativement à la transe chamanique). Et les changements de conscience induits par la transe de type chamanique seraient comparables ou supérieurs aux changements induits par les psychédéliques.

L’origine de la Transe Cognitive Auto-Induite (TCAI)

L‘idée initiale était de pouvoir induire un état de transe, sans tambour, sans substance, par la simple volonté de la pensée, et les premiers travaux scientifiques ont été menés directement avec Corine Sombrun comme sujet d’étude. Dans les premiers résultats de la TCAI, il a été retrouvé chez elle un déplacement de l’activité cérébrale de l’hémisphère gauche vers l’hémisphère droit et du cortex préfrontal vers le cortex somato-sensoriel (temporo-pariétal), avec une augmentation d’activité delta et bêta en frontal droit et gamma en pariétal droit. Par ailleurs, l’EEG de Corine Sombrun en état de TCAI montrait un pattern similaire à celui de femmes contrôles (et différent de celui de femmes dépressives et de femmes schizophrènes), sauf dans les ondes bêta hautes pour lesquels son cerveau réagissait comme celui des participantes dépressives et schizophrènes, ce qui confirmait le fait que l’état de TCAI chez Corine Sombrun n’est pas la conséquence d’un état psychopathologique et n’induit pas de trouble psychiatrique.

D’un point de vue du vécu subjectif de l’expérience de TCAI, Corine Sombrun rapporte l’existence d’une dissociation légère, d’une modification de la perception de l’espace et du temps, d’une diminution de la douleur, d’une augmentation de la force musculaire et d’une modification de la perception de soi et des perceptions sensorielles.

En Mongolie, moins d’1 % de la population est accessible à la transe induite par le tambour, suggérant que la stimulation par le son du tambour était peut-être insuffisante pour induire un état de transe pour le plus grand nombre. L’équipe de Corine Sombrun a créé dans un premier temps une boucle de son plus efficace que le son du tambour. Cela a permis l’induction d’un état de transe chez 90 % des participants (groupes d’étudiants), montrant ainsi le potentiel individuel quasi universel de pouvoir entrer en état de transe.

Par ailleurs, la TCAI permettait de diminuer le contrôle vagal cardiaque entraînant une hyperexcitation du système nerveux autonome (similaire aux autres états non ordinaires de conscience), avec modification du rythme respiratoire, augmentation de la force motrice (et allongement de la durée de l’effort) ainsi qu’une diminution de la douleur.

De la transe-formation à la transformation… L’approche en TCAI laisse entrevoir des perspectives thérapeutiques prometteuses, avec une accessibilité potentielle au plus grand nombre. Alors laissez-vous transfigurer !

 

Renaud David,
Nice