CFP2023
C5- Camera Obscura

Président : Frédéric LIMOSIN – Issy-les-Moulineaux

Conférencier : David PERRAULT – Réalisateur – Paris

Un amphithéâtre sombre à la manière d’une salle de cinéma, une fin de congrès et une écharpe entourée autour du cou, le décor est planté. Et c’est dans un doux vertige que notre conférencier nous amène à travers rêverie, lâcher prise et oubli jusqu’à une boucle infinie et enveloppante à la manière d’un huit et demi.

Comptez après moi !

En ce samedi matin, nous voilà, là, le temps suspendu et l’envie de ne plus repartir. En ce samedi matin il y a comme une odeur de fin mais David Perrault met pause avant la chute. Une pause avant le point de rupture. Un rembobiné comme un jour sans fin, une entrée dans un labyrinthe interne, une boucle de 8. Crédules nous ne savons pas à quoi nous attendre, et nous n’allons pas partir de 8 mais de 1 pour compter jusqu’à 10 avec Lars Von Trier et partir pour Europa. Comme un temps figé, une sorte d’hypnose sourde, nous ressentons le soupçon d’incrédulité des spectateurs qui, pour la première fois, voyaient sur grand écran l’entrée en gare du train de la Ciotat. Mais cette séquence, loin de nous avoir fait fuir la salle comme les spectateurs du premier film des Frères Lumières, nous enfonce dans notre siège. Nous ressentons la porosité entre fiction et réel, nous ressentons presque le décalage horaire à l’arrivée à Europa. Nous comprenons instantanément comment le cinéma a sauvé les rêves de notre conférencier. Car l’histoire de David Perrault est intimement liée au rêve. Un rêve récurrent dans l’enfance pour lequel il avait mis en place des rêves conscients comme rituels de protection, des rituels dans les rêves, une réalité dans le rêve. Et si Freddy Krueger a généré chez plus d’un d’entre nous de terribles cauchemars, ce grand brûlé aux griffes d’acier a mis des mots sur les angoisses de David Perrault, à la manière d’une thérapie d’exposition à ses propres peurs. Ce sentiment de n’être plus seul, cette réassurance par le rêve, a fait qu’il a compris qu’il voulait devenir cinéaste avant-même de connaître le métier. Et c’est cela qui l’amène à nous aujourd’hui, pour nous soigner de cette douleur de fin et de clôture, par le rêve percutant, voyageant au sein de notre réalité.

8 et demi ou l’infini à demi

Si par le rêve cette conférence soigne notre fin, c’est que rêve et santé sont liés depuis le commencement, dans les tout premiers films qui traitaient du rêve au cinéma. Ainsi nous retrouvons dans La Maison du docteur Edwardes des problématiques Freudiennes et une volonté d’interprétation du rêve. Dans ce rêve à l’esthétique d’une peinture de Dali, la question du rêve demeure évoquée d’une façon superficielle puisqu’il est abordé comme une façon de résoudre tous les problèmes où la roue est le revolver et où le masque cache le tueur. Une explication grossière de la psychanalyse où la psychanalyste tombe amoureuse de son patient et trouve toutes les solutions et les réponses dans les rêves de ce dernier. Une structure classique rassurante qui apporte des réponses mais avec une simplicité qui ne traduit pas le chaos de nos vies à l’inverse du cinéma moderne. Puisque la réalité n’est pas rassurante, le cinéma du rêve est sûrement plus crédible dans le chaos. La vie n’est pas la Dolce Vita et Fellini l’a bien compris. Et c’est à travers sa crise existentielle et suite à 20 ans de thérapie et les conseils de son psychanalyste qu’il dessinera sa dépression dans le « Livre de mes rêves ». Plus qu’un livre dessiné, de cette crise naîtra un film de rêveur désespéré où le cinéaste nous branche sur sa psyché. Le rideau s’ouvre et nous découvrons les pensées du rêveur qu’est Fellini et sommes immergés dans sa crise en forme de huit et demi.

Ça tourne en boucle

Comme la boucle sonore de vertigo ou l’empêchement sans fin de manger dans Le Charme discret de la bourgeoisie, le rêve, au-delà du chaos, contient aussi cette impression de fin qui nous échappe sans cesse. Si la vie est un songe, le rêve ne peut se terminer. Et si le rêve et la réalité sont autant d’expériences vécues, la vie est probablement une séance de cinéma. Mais n’ayez pas peur, il y a de la lumière au bout du tunnel, voire au bout du labyrinthe. Car, même si dans Shining les boucles de vertigo ont été remplacées par des formes linéaires de labyrinthe, le dénouement est le même.  Bienvenue dans le cerveau de Jack Nicholson, dans une immense rêverie aux allures cauchemardesques où il ne peut se sortir de sa psyché labyrinthique, retrouvée comme un symbole de sa cravate aux couloirs de la maison. Et puisqu’il n’y a pas de fin, c’est congelé dans sa propre névrose, suspendu en son sein, que ça ne se terminera pas. Cette sensation de saisissement, d’enchevêtrement, est au cœur aussi de Mulholland Drive qui, dans sa scène finale, nous saisit à nous en rendre sourds, dans une intensité telle que nous sentons que nous devons nous réveiller. Mais qui rêve ? Est-ce le rêve de Lynch ? Est-ce celui de Betty ? Le vôtre ? Nous retombons sur cette sensation de vertige entre rêve et cinéma où tout peut être interrogé.

Alors, si au quai de la gare du train pour Europa ou la Ciotat, votre réalité a basculé, demandez-vous si un jour l’arrivée a même existé.  Car si nos héros sont morts ce soir, nos rêves sont probablement nés d’hier.

 

Auriane Gros
Nice