CFP 2023
JPPA1 / L’apathie : un trouble complexe des comportements complexes – du diagnostic à la thérapeutique

Modérateur : Jean-Michel DOREY – Bron
Expert : Gabriel ROBERT – Rennes

Ce petit instant si délicieux au moment où votre langue effleure le crémeux si doux, frais et sucré de la boule à la fraise au cours d’une chaude journée d’été et que vous devez vous dépêcher de lécher les coulures de la crème glacée le long du cornet avant que celles-ci ne touchent votre main…Hmmmm, qui n’a jamais savouré ce plaisir éphémère… ! Ceci, c’est un peu l’histoire de l’apathie, ou de la perte de motivation, ou plus encore de la notion de comportement dirigé vers un but, par notre maître glacier, le Professeur Gabriel Robert.

Et vous, qu’êtes-vous prêt à faire pour un cornet 3 boules ?

Dans notre « motivation » pour faire des choses, il y a des processus biologiques qui sont en jeu. Et dans ce qui nous pousse à agir, il y a plusieurs composantes que les chercheurs ont décomposé en « wanting » (le vouloir…), qui correspond à « l’énergie » que l’on est prêt à investir pour obtenir quelque chose (une récompense, par exemple), et le « liking », qui est le plaisir ressenti, une fois la récompense obtenue !!, ainsi que certains processus cognitifs, comme le plaisir anticipatoire : dans mon histoire de cornet 3 boules par exemple, avouez-le, le plaisir n’est-il déjà pas là juste à l’idée d’imaginer que dans 15 petites minutes vous aurez la glace dans la main et que vous connaissez déjà la douce sensation qu’elle vous procurera ?

Et bien, l’apathie, ce serait comme une perte des comportements dirigés vers un but, qui, malheureusement s’observe dans de nombreuses atteintes neuropsychiatriques, souvent sous un vocable différent : l’apathie dans la maladie d’Alzheimer, l’aboulie dans la dépression, l’athymhormie dans la schizophrénie, l’akinésie psychique,… Dans les pathologies neurodégénératives, cette apathie est malheureusement très fréquente (présente dans plus de 50 % des cas) et observable habituellement très précocement (souvent même avant les premiers symptômes cognitifs, dans la maladie d’Alzheimer). Elle est même un des seuls symptômes psycho-comportementaux associé à un risque accru d’entrée dans la démence et d’aggravation de la démence une fois celle-ci déclarée.

D’ailleurs, ne confondez pas apathie et dépression !

Ce sont les deux symptômes psycho-comportementaux les plus fréquents dans la maladie d’Alzheimer et ils sont souvent, à tort, confondus… Dans les deux cas, on retrouve une perte des intérêts, mais dans la dépression, il existe une tristesse de l’humeur (avec une forte sensibilité aux émotions dites négatives), alors que dans l’apathie, on observe un émoussement des affects (insensibilité aux affects négatifs et positifs). Cette distinction est importante, car l’approche pharmacologique sera différente : on prescrira volontiers un antidépresseur sérotoninergique dans la dépression, ce qu’il faudra éviter de faire dans l’apathie (les inhibiteurs spécifiques de recapture de la sérotonine ont, en effet, tendance à majorer les niveaux d’apathie…).

Cette apathie n’est évidemment pas volontaire dans ces différentes atteintes (donc inutile de dire à vos patients de faire « un petit effort » !), mais il est impératif de la rechercher, car, comme souvent avec les symptômes dits « négatifs » des pathologies psychiatriques, ils sont peu perturbateurs et donc peu demandeurs d’interventions thérapeutiques rapides (vous a-t-on déjà réveillé lors d’une de vos nuits de garde à l’hôpital pour une crise d’apathie aigüe ?).

Quelle est la pilule de la motivation ?

Les approches pharmacologiques pour traiter l’apathie sont limitées. D’ailleurs, de nombreux psychotropes ont tendance à augmenter l’apathie (comme les ISRS évoqués précédemment) ! Les antipsychotiques, sauf à de rares exceptions et sous certaines posologies, majorent également l’apathie (on évoque souvent au plan sémiologique, la notion de syndrome amotivationnel induit par les neuroleptiques !). Seules quelques molécules ont montré des résultats intéressants actuellement : les effets les plus probants sont rapportés avec le méthylphénidate (inhibiteur de recapture de la noradrénaline et de la dopamine, utilisé habituellement dans le traitement du TDAH), ainsi que, dans une moindre mesure, avec les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (prescrits habituellement dans la maladie d’Alzheimer et pathologies apparentées).

Dans tous les cas, restez motivés car « La vie c’est comme une glace : savourez-la avant qu’elle ne fonde »

 

Renaud David,
Nice