CFP2023 Edito Clinique

Lorsque les professionnels de la santé mentale sont interpellés sur leur capacité de rêver, ce n’est pas le rêve comme échappatoire auquel ils se réfèrent, mais bien à une plongée dans le réel, avec ses difficultés concrètes auxquelles ils tentent de proposer des réponses. Rêver, revient à faire face à des situations complexes en puisant dans les connaissances, le partage d’expérience, l’interdisciplinarité tout en respectant une méthodologie stricte qui prend en compte la diversité des dimensions impliquées dans la survenue du trouble et son évolution afin d’élaborer des solutions concrètes, modestes mais néanmoins créatives et efficaces. La complexité peut être considérée comme un obstacle ou comme un défi à notre capacité de toujours inventer, proposer et rêver. Les communications présentées à cette nouvelle édition 2023 du Congrès Français de Psychiatrie (CFP) démontre que la psychiatrie affronte la difficulté, elle s’inspire d’expériences positives variées, investit dans le collectif et, ce faisant, elle contribue à rendre, pour tous, « habitable le réel » selon la formule inspirée de Cynthia Fleury*.

Comprendre les situations difficiles : une exploration exhaustive de l’environnement

Elles sont considérées comme étant “à risque” pour les patients ou pour les soignants, “complexes” voire “extrêmes”. Quelles que soient les situations difficiles auxquelles les équipes de soins sont confrontées, elles font l’objet d’une analyse minutieuse de tous les facteurs qui ont pu contribuer à la situation. L’environnement fait l’objet d’une attention croissante car il est souvent mentionné comme un agent favorisant le trouble et parce qu’intervenir sur l’environnement représente également un levier thérapeutique intéressant. C’est le cas pour les comportements défis au sein des institutions (D04), les situations nécessitant le recours à la contention (D07), la gestion des patients présentant des pensées et des comportements suicidaires (FA03, S07), ainsi que pour le traitement des troubles de la personnalité borderline (FA19, S09, S15, FA08). On remarque également avec intérêt que la gamme de facteurs environnementaux explorés est vaste et variée. Ainsi, la notion classique de traumatisme fait désormais l’objet d’une caractérisation de plus en plus précise (S15, S09, S24, FA10). Plusieurs communications s’intéressent à la pratique des soignants en tant que qualité de l’environnement : la formation des équipes et leur capacité à adopter une approche de soins axée sur le rétablissement (S22), la gouvernance institutionnelle et la capacité des soignants à se coordonner (D07) ainsi que la culture de l’unité et/ou les préjugés envers certains troubles (D07, S09C) sont autant de dimensions interrogées et pour lesquelles des propositions constructives sont faites. Bien que le facteur humain soit donc primordial, l’exploration de l’environnement fait également appel à des éléments aussi divers que la configuration et la taille des espaces pour créer de l’apaisement (D04), la proximité entre centre de soin somatique et centre de soin psychiatrique pour favoriser l’accès aux soins somatiques (PPC5) ou encore l’impact des saisons et des facteurs météorologiques sur l’évolution du trouble (FA08).

Une psychiatrie qui investit dans le collectif

L’exploration clinique s’enrichit régulièrement des apports des neurosciences. L’intérêt tant diagnostic que thérapeutique de la génétique (R02), de l’imagerie (FA03, R06) et de la rTMS (FA03) font l’objet d’une mise à jour et de recommandations sur leur bon usage. Mais, le constat global est que la prise en soin en santé mentale et, en particulier la prise en soin des personnes en situation complexe, repose sur une combinaison de réponses. Ces solutions sont élaborées en concertation avec un large éventail de partenaires, compte tenu des enjeux sociétaux et éthiques qu’ils soulèvent, tels que la fin de vie (FA17) ou la contention (D07). Certaines situations, comme la chirurgie de l’obésité pour les personnes qui souffrent de troubles psychiques (D11) ou les cas très complexes de troubles du comportement alimentaire (FA04), nécessitent la mobilisation de compétences multiples y compris les chirurgiens, les réanimateurs voire les spécialistes des soins palliatifs. De même, les comorbidités nécessitent une approche pluridisciplinaire : l’intrication entre psychotraumatisme et épilepsie en est l’illustration (FA03). Plus largement, on assiste à une psychiatrie qui investit dans le collectif. Le collectif comme source d’inspiration pour l’élaboration d’un cadre thérapeutique innovant. L’une des communications nous embarquera pour l’Australie et nous fera découvrir le centre d’intervention précoce Orygen dédié à la santé mentale des jeunes. Centre dont la spécificité est l’implication des principaux intéressés dans son élaboration mais aussi qu’il œuvre à l’amélioration de la santé des jeunes en général (R04). Le collectif, encore, comme allié du soin, on verra que les psychiatres libéraux rompent avec l’isolement (PPC4) et plusieurs travaux s’intéresseront à la pair-aidance (FA17, S22, R11). Cette tendance s’observe également lorsque, pour limiter la contention, on mise entre autres sur la « culture » de l’unité et la gouvernance (D04). L’importance de l’implication des patients et leurs proches va de pair avec cette approche tant il est vrai qu’elle constitue un élément clé dans toutes les entreprises thérapeutiques. Il en sera notamment question à propos de la gestion du risque suicidaire, la psychothérapie du trouble dissociatif (FA10, S09) et dans les travaux menés sur les pratiques soignantes (S22).

Un feel good congress

La psychiatrie d’aujourd’hui a surpassé certaines idéologies restrictives et vise à créer une synergie entre les compétences. Pour ceux qui hésitent à se lancer dans cette carrière, pour ceux que les aléas du climat hospitalier actuel font vaciller dans leur implication et pour ceux qui, lassés par la multiplication des obligations annexes à leur cœur de métier, recherchent un peu de respiration le CFP reste, au fil des ans, une source d’inspiration qui ne faiblit pas et l’occasion de rêver ensemble à des jours meilleurs.

Brigitte Ouhayoun
Paris

*Cynthia Fleury : le soin est un humanisme collection tract Gallimard