CFP2023
R03 – Diagnostic de troubles dépressifs chez les jeunes avec un trouble du neurodéveloppement : pièges et principaux outils de repérage

Le diagnostic et le traitement des troubles affectifs chez les enfants, adolescents et adultes ayant un Trouble du NeuroDéveloppement (TND) se heurtent à des difficultés spécifiques dont il importe de connaître la réalité, et les mécanismes par lesquels nous risquons de passer à côté de souffrances accessibles à des soins, contribuant parfois à des interventions iatrogènes.

Ne pas nier la souffrance morale des personnes avec trouble du développement cognitif

Le premier obstacle est associé à une forme d’a priori sur l’inexistence de ces troubles dans certains contextes cliniques. On a longtemps considéré que dans les Troubles du Développement Intellectuel (TDI), l’insuffisance des processus de maturation psychologique limitait les expériences de douleur morale et en conséquence la survenue de troubles dépressifs ou anxieux. Des travaux épidémiologiques menés à partir des années 80 ont révélé une tout autre réalité, celle d’une élévation du risque dépressif, particulièrement à partir de l’adolescence, dans les TDI. Les éléments d’adversité qui fondent le risque de dépression sont d’ailleurs très présents dans les contextes de TND au sens large : limitations fonctionnelles sources d’échec, difficultés d’apprentissage, de socialisation, vécu de différence, de harcèlement, pathologies somatiques associées, sont autant de facteurs expliquant l’accroissement des dépressions dans les TND.

Repérer les symptômes des troubles affectifs au sein du TND

Le deuxième obstacle tient à l’expression sémiologique des troubles anxieux ou dépressifs qui viennent “teinter” l’expression du TND d’un enfant particulier dans son contexte socio-familial. Cette expression ne correspond pas toujours aux critères établis par des études sur des populations excluant souvent la co-présence d’un TND. Si l’expression des troubles affectifs est particulière, alors la démarche d’observation, d’anamnèse, de recueil d’information doit être repensée. La complexité de la tâche tient à ce que les troubles affectifs peuvent être considérés comme composante, complication ou encore diagnostic différentiel du TND. L’aggravation de certaines manifestations du TND, le repli chez un autiste, les difficultés cognitives chez un enfant TDI, peuvent être interprétés comme un élément évolutif du TND sans être pris en compte comme un élément saillant révélateur d’un trouble affectif nécessitant un soin spécifique.

Etablir une sémiologie plus spécifique

Au début des années 2000, le collège royal des Psychiatres du Royaume uni a établi des critères plus spécifiques pour les personnes ayant des troubles d’apprentissages et du développement intellectuel. Il s’agit moins de changer les critères des troubles que d’en modifier l’appréciation, la lecture comportementale et émotionnelle. La tristesse prend plus la forme d’une instabilité émotionnelle, de sanglots, voire de comportements agressifs et d’une majoration des comportements ritualisés et stéréotypés habituels. L’anhédonie se traduit par une diminution de participation aux activités ou un moindre plaisir à le faire, parfois par des comportements d’opposition, une réduction de la communication, et des soins accordés à soi-même. L’atteinte des fonctions instinctuelles comme l’alimentation, le sommeil sont des indices précieux dans ces contextes. Mais il faut aussi savoir distinguer ces manifestations des syndromes catatoniques qui relèvent de soins différents. 

Adapter la démarche diagnostique

En 2022, des Guidelines européennes ont à leur tour rappelé l’importance d’une adaptation de la démarche diagnostique et ont préconisé une approche probabiliste, fondée sur un faisceau d’arguments plus que sur l’établissement de tous les critères, une surveillance quotidienne pendant un temps donné, et la possibilité d’un “traitement d’épreuve”, comme on peut le faire parfois avec des antalgiques quand on soupçonne des symptômes douloureux à traduction comportementale chez des personnes non verbales. X. Benarous a d’ailleurs mentionné au cours de sa conférence le risque de n’explorer que la dimension somatique dans les changements de comportements affectant les patients non ou peu verbaux. S’il fait partie des recommandations de prioriser l’élimination d’un problème de santé dans ces contextes, l’évocation d’un trouble affectif, d’une dépression, d’un trouble anxieux, d’un état de stress post-traumatique, fait aussi partie des hypothèses à considérer.

 

Christophe Récasens,
Créteil