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D01 – Faut-il arrêter d’hospitaliser les patients suicidaires ?
Modérateur : Guillaume VAIVA – Lille
Débatteurs : Marie TOURNIER – Bordeaux et Fabrice JOLLANT – Le Kremlin-Bicêtre

Vous êtes soignant bien-pensant : vous accueillez vos patients, vous les écoutez, vous les évaluez, vous vous inquiétez… et vous les hospitalisez. Vous pensiez bien faire ? La science nous dit pourtant le contraire…

Évaluation, prédiction… C’est bidon !

Bonne nouvelle, la majorité des gens ayant des idées suicidaires ne passera pas à l’acte. Ces gestes seraient le plus souvent non létaux et sans conséquences physiques graves. Le suicide est un phénomène rare en population générale (14 pour 100 000 individus) qu’il est nécessaire de rappeler. Mauvaise nouvelle – quoique ! – nous, soignants, ne sommes pas bons pour évaluer le risque suicidaire. La littérature scientifique nous peint un tableau aussi provoquant que déprimant : plusieurs types d’évaluation du risque suicidaire sont étudiés, mais aucun ne semble améliorer la prédiction d’un geste suicidaire. Le jugement du clinicien serait donc à peu près égal à… la chance.

L’hospitalisation systématique… C’est pas automatique !

L’hospitalisation complète apparaît souvent comme solution première face aux patients à haut risque suicidaire. Celle-ci permettrait en effet de mettre ces derniers en sécurité le temps d’établir une prise en charge et un traitement adaptés. Mais, là encore, la littérature scientifique vient bousculer nos représentations en démontrant que les hospitalisations complètes ne préviendraient pas les passages à l’acte, voire dans certains cas (notamment chez les hommes), pourraient augmenter leur risque de survenir. Une étude de cohorte traitant de l’association entre l’hospitalisation et la présence d’un comportement suicidaire ultérieur montre ainsi l’impact bénéfique de l’hospitalisation seulement pour les personnes ayant fait une tentative de suicide la veille. Si l’on voyage un peu, on constate que les régions favorisant davantage les soins ambulatoires que les hospitalisations à temps complet ont un taux de suicide moindre. Dans le même sens, là où il y a moins de lits… Il y a moins de suicide !

Du reste, non seulement l’hospitalisation complète ne serait pas si aidante pour ces patients, mais elle pourrait même être néfaste pour ceux qui en auraient une expérience négative. Stigmatisation, traumatisme, perte de son rôle social et de son autonomie, sentiment de coercition… tout un programme qui dissuadera définitivement ces derniers de se tourner de nouveau vers la psychiatrie.

Le changement… C’est maintenant ?

Face à ces constats relativement décourageants, difficile de ne pas remettre en question le sens même de nos professions. À quoi bon perdre son temps en entretien avec l’évaluation clinique du risque suicidaire si celle-ci n’est de toute façon pas fiable ? À quoi bon s’investir dans un service d’urgence si celui-ci peut être source autant d’apaisement que de traumatismes ? En somme, qu’en est-il du rôle des soignants dans ce type de prise en charge ? Serions-nous capables de dormir sur nos deux oreilles ayant laissé une personne suicidaire rentrer chez elle ? L’hospitalisation n’aurait-elle donc pour objet que de nous sécuriser, nous, plus que nos patients ?

Heureusement, plusieurs alternatives appuyées par la science nous donnent malgré tout espoir. Il s’agirait de privilégier : des soins intensifs en ambulatoire (en favorisant les prises en charge pluridisciplinaires, les rappels de rendez-vous, adapter la fréquence de ceux-ci, inclure les proches…), l’hôpital de jour (qui permet de donner des repères et un cadre rassurant aux patients), le rappel téléphonique (grâce au programme VigilanS notamment, dont l’efficacité n’est plus à prouver), la mise en place d’un « plan de sécurité » (afin d’encourager les individus à être acteurs de leur prise en charge) et enfin l’apaisement des idées suicidaires par l’administration de Kétamine (qu’il s’agit de coupler à la psychothérapie pour un traitement de la problématique en profondeur et non seulement des symptômes).

Enfin, sans grande surprise, il est montré que les zones davantage peuplées en psychiatres et psychologues connaissent moins de suicides, ainsi que celles où le financement pour la santé mentale est plus élevé.

C’est donc aussi à une politique en faveur de la santé que ce débat nous pousse à rêver…

Alors, êtes-vous prêts à prendre le risque d’évoluer ?

 

Mélisande Etiévant
Paris