La Psychiatrie publique rencontre de plus en plus de difficultés pour faire face à l’ensemble de ses missions. Alors que les besoins de soins en santé mentale ne cessent de croitre, les possibilités de recruter des infirmiers, des cadres infirmiers ainsi que des psychiatres se raréfient. On ferme des lits faute de personnel. Et, ce n’est ni la fâcheuse ascension de la courbe d’âge des praticiens hospitaliers, ni le fait que les internes se détournent de notre discipline qui nous permettent d’annoncer des jours meilleurs. Il apparaît, néanmoins, que certains dispositifs résistent mieux que d’autres. Il est même des endroits qui ont su préserver une dynamique ascendante dans le déploiement de l’offre de soin. Et si l’on vous parlait d’un service qui est, certes, actuellement soumis aux mêmes pressions que l’ensemble du territoire, mais qui au cours de ces dernières années a accru sa capacité d’accueil hospitalière de 25 lits, a su passer de trois postes d’internes à douze et qui, tandis qu’il devient délicat de pourvoir ces postes, ne cesse de remporter les suffrages de nos futurs confrères ? Qui est l’artisan de cette improbable trajectoire à l’ouest de Paris ? : Rencontre avec le Professeur Frédéric Limosin.

 C’est en 2009 que Fréderic Limosin prend les manettes du service universitaire de Psychiatrie de l’hôpital Corentin-Celton à Issy-les-Moulineaux. Il a pour bagage une formation d’interne effectuée à Paris, essentiellement à l’AP-HP. Il a été chef de clinique à l’hôpital Louis-Mourier à Colombes, puis praticien hospitalier à l’hôpital Albert-Chenevier à Créteil aux côtés des Professeurs Jean Adès et Frédéric Rouillon. Frédéric Limosin a également à son actif un parcours de recherche : ses premiers travaux ont porté sur les facteurs de vulnérabilité génétique à la dépendance à l’alcool, puis il s’est orienté vers l’Epidémiologie et en particulier les études de cohorte. Nommé Professeur de Psychiatrie au CHU de Reims en 2005, il quitte ce poste quatre ans plus tard pour prendre la responsabilité du service universitaire de Psychiatrie à Corentin-Celton.

Création du premier centre ressource dédié à la Psychiatrie du sujet âgé

Frédéric Limosin va alors s’atteler à la refonte du paysage sanitaire de cette banlieue ouest de Paris pour aboutir à un dispositif de soin innovant, fondé sur une analyse approfondie des besoins de son territoire. Dans un premier temps, il opère la fusion de son service universitaire avec le service de secteur des communes d’Issy-les-Moulineaux et de Vanves dirigé par le Docteur Béatrice Beaufils. Puis, sous l’impulsion du Professeur Silla Consoli, le service de Psychiatrie de liaison de l’hôpital européen Georges-Pompidou, qu’il dirige, rejoint le service unifié. C’est à partir de ce socle que Frédéric Limosin va déployer, outre l’offre de soin sectorisée, deux filières spécifiques : la Psychiatrie du sujet âgé, et l’Addictologie. Son service créera ainsi le premier centre ressource régional de Psychiatrie du sujet âgé, labellisé par l’ARS en 2013. Il crée ensuite une équipe mobile dédiée spécifiquement à cette population, concept qui essaimera progressivement sur l’ensemble de l’Ile de France. Simultanément, Frédéric Limosin travaille à la reconnaissance de la Psychiatrie du sujet âgé comme une spécialité à part entière. Il initie un volet formation en s’engageant dans la création d’un DU, dans l’organisation des JPPA au sein du CFP, ainsi que dans la mise en œuvre de recherches sur cette thématique. Il milite aussi pour que, à l’instar de plusieurs pays d’Europe, cette discipline devienne une option dans le cursus de formation des internes et obtienne enfin une reconnaissance officielle en tant que surspécialisation. Ce fut le cas en 2017. En outre, Frédéric Limosin plaide pour une délimitation claire entre les niveaux d’expertise et les champs de compétence respectifs de la Psychiatrie du sujet âgé et de la Psychogériatrie.

Une palette de soins des troubles addictifs minutieusement élaborée

En matière d’addictions, Frédéric Limosin a déployé un arsenal thérapeutique souple et adaptatif, qui offre une large gamme de propositions d’accompagnement. Celui-ci est composé de dix lits d’hospitalisation et de dix places d’hôpital de jour proposant un programme de prise en charge intensive, privilégiant une approche psychothérapeutique centrée sur les dimensions de personnalité sous-jacentes. Il compte également deux centres de consultations dotés, entre autres, d’une consultation spécifique à destination des jeunes consommateurs. Les troubles de la personnalité ont également fait l’objet d’un dispositif spécifique : un hôpital de jour dédié aux personnes souffrant d’états limites et proposant divers types de psychothérapie, notamment dialectique de Marsha Linehan, et des schémas de Jeffrey Young. Son ambition ne s’arrête pas là : son prochain projet : créer un autre hôpital de jour proposant un programme intensif de remédiation cognitive destinée aux patients souffrant d’un trouble de l’usage de l’alcool et de troubles cognitifs induits.

Un homme de conviction, au service de la Psychiatrie publique

Frédéric Limosin apprécie le travail en équipe et la diversité qui caractérise notre discipline. Il se dit curieux de la pensée des autres et accorde une grande importance à ses collaborateurs dont il apprécie au quotidien l’engagement. Pour autant, Frédéric Limosin ne cède ni à ses penchants lesquels, l’auraient, selon lui, probablement davantage mené vers une carrière littéraire, ni aux modes. Et, quoiqu’il affirme qu’adolescent il détestait les mathématiques, c’est bien sur la rationalité et la rigueur que ce chef de service fonde sa démarche. Il se définit, en outre, comme un psychiatre d’orientation « biologiste » dont la pratique tente de rester la plus médicale possible. Il semble que c’est à travers du déploiement, méthodique, rigoureux mais aussi éminemment stratégique de son service que l’on peut approcher au plus près de la personnalité du Professeur Frédéric Limosin. Un homme qui accorde peu d’intérêt au dévoilement de soi mais qui exprime sa créativité au moyen d’un édifice thérapeutique ciselé. L’offre de soin qu’il a créée propose des prises en charge fondées sur les connaissances médicales les plus récentes, ajustées aux spécificités du territoire et en considération des impératifs économiques qui pèsent sur le système sanitaire. Gageons que c’est précisément l’absence de modèle préétabli qui a permis l’élaboration d’une offre de soin psychiatrique publique à la fois originale, cohérente et robuste.

Frédéric Limosin, en vracQuelques clefs pour apprécier Frédéric Limosin

Le principal trait de mon caractère pathologique

L’impatience, sans aucun doute !

La qualité que je désire chez un patient. 

Je ne désire aucune qualité particulière chez un patient, mais je suis sensible à son degré d’écoute et à la confiance qu’il m’accorde.

Ce que j’apprécie le plus chez mes collègues.

Beaucoup de choses, mais en premier lieu la loyauté et ce qu’ils consacrent d’énergie et de temps à leurs patients.

Mon occupation préférée quand je m’ennuie au cours d’un entretien.

Interrompre l’entretien !

Mon rêve de bonheur de soignant.

Transmettre aux plus jeunes et leur permettre de trouver leur propre bonheur de soignant.

Quel serait mon plus grand malheur.

Ce serait de n’avoir rien transmis. Plus que ce qu’on laisse, c’est ce qu’on transmet qui m’importe.

Ce que je voudrais être (si je n’avais pas la chance d’être psychiatre !).

Lapidaire, ou gemmologue, pour ma fascination pour la matière minérale.

Le pays où je désirerais vivre.

J’aime beaucoup voyager et ai particulièrement aimé le Japon, la Polynésie française, l’Italie, mais au final vivre en France me convient.

La fleur que j’aime 

La Cattleya, la reine des orchidées, un peu proustienne, au parfum sublime.

L’oiseau que je préfère.

L’hirondelle, pour son cri les soirs de printemps. On dit qu’elle tridule. L’entendre me rend heureux, et un peu nostalgique.

Mes auteurs favoris en prose.

J’en ai beaucoup, mais si je dois en choisir deux : Haruki Murakami et Virginia Woolf.

Mon cocktail lytique préféré (quand il y en a vraiment besoin).

Je ne bois jamais d’alcool, donc je dirais le Coca zéro, mon côté Karl Lagerfeld !

Mes peintres favoris.

Là encore, si je dois en sélectionner quelques-uns, je choisis John Singer Sargent, Jean-Honoré Fragonard et Le Caravage. Je rajouterais aussi Thomas Gainsborough.

Le passage à l’acte hétéro-agressif que j’admire le plus.

Aucun, les actes agressifs quels qu’ils soient n’ont pas de valeur à mes yeux.

La réforme du système de santé que j’estime le plus.

Celle qui devrait avoir lieu, car notre hôpital est dans un état préoccupant, résultat de décennies de fragilisation de nos structures et de précarisation de nos métiers. Le désenchantement de nos soignants, les salaires encore trop bas, les contraintes de rentabilité ont eu raison de l’attractivité. Des postes sont vacants, des lits ferment… J’attends donc une réforme ambitieuse, systémique et courageuse, qui ne contourne pas les vrais enjeux. Et je pense que les professionnels, médecins et soignants, devraient être au cœur de sa conception et de sa mise en œuvre.

Une découverte scientifique qui a une valeur particulière à mes yeux.

Sans hésitation, l’immunothérapie. J’ai vécu, par des proches qui en ont bénéficié, le formidable apport de cette thérapeutique. Je suis très admiratif.

 Une rencontre qui a été déterminante sur mon cheminement en psychiatrie.

Plusieurs ! Jean Adès, Philip Gorwood et bien sûr Frédéric Rouillon. Ils ont été essentiels dans mon parcours de psychiatre, chacun avec sa personnalité et sa vision de la Psychiatrie. Tous trois m’ont fait confiance, j’ai beaucoup appris grâce à eux et je leur suis reconnaissant. Je citerais également Béatrice Beaufils, notre rencontre et notre « couple » professionnel ont beaucoup contribué à ce qui s’est créé à Corentin-Celton.