S30- Dérogation au secret médical en cas de violence conjugale : consentement ou contrainte ?

L’organisation d’un Grenelle des violences conjugales en 2019 marque la volonté des pouvoirs publics de réfléchir et proposer des solutions face à ce fléau. Entre autres mesures, la loi a évolué pour permettre aux professionnels de santé la possibilité d’émettre un signalement s’ils repèrent un cas de violence conjugale chez leurs patients. Le médical et le judiciaire, deux mondes qui tentent de se rapprocher, pour quels bénéfices et pour qui ? Gare cependant au phénomène d’emprise narcissique !

Il est important de préciser qu’au fil de l’article les violences conjugales font apparaitre les femmes en tant que victimes, mais que les hommes peuvent aussi être concernés.

Halte au Procureur !

Quelle balance bénéfices/risques pour les professionnels de santé et les patients ?

Dans quelle situation et comment déroger au secret médical dans le cadre de violences conjugales ? Sur ce sujet, Cyril Manzanera, médecin psychiatre est venu nous éclairer. Tel est le challenge des professionnels de santé confrontés à ce type de situation avec leurs patients. Le dernier Grenelle de lutte contre les violences conjugales (septembre – novembre 2019) réunissait de multiples acteurs : associations, parlementaires, forces de l’ordre, professionnels de santé, etc. Le Conseil National de l’Ordre des Médecins a alors fortement soutenu la possibilité que ces derniers puissent émettre un signalement au Procureur de la République sans que la victime ne donne son accord.

L’article 226-14 alinéa 3 du Code Pénal dispose que n’importe quel professionnel du secteur sanitaire ou médico-social devra évaluer s’il y a danger immédiat pour la victime et si elle n’est pas en mesure de se protéger du fait d’une contrainte morale. Pour ce faire, il aura la responsabilité « d’estimer en conscience ». Si la tâche n’est pas des moindres, la loi permet de faire intervenir les acteurs du monde médical de manière simplifiée. Ces derniers sont, en effet, des récepteurs et interlocuteurs privilégiés des maux et violences subis hors du cadre hospitalier. L’article n’oblige en aucun cas d’émettre un signalement mais autorise le professionnel concerné à le faire tout en étant protégé par la loi. Quant à la victime, elle est en droit de refuser la démarche, toutefois, pouvant être sous emprise, il revient au soignant de décider si oui ou non il est nécessaire et urgent de déclarer un cas de violences conjugales. Dans tous les cas, la victime doit être avertie de ce signalement. Cette dernière pourrait y voir une rupture de confiance, pouvant aller jusqu’à infirmer les dires avancés lors de l’ouverture de l’enquête…

Pour accompagner les soignants dans cette démarche du signalement, un vade-mecum a été rédigé.

Place à la Justice, et seulement la Justice

Roxanne Delgado, magistrate a pu éclairer nos questionnements sur la suite donnée au signalement. Le Procureur de la République le reçoit sur une boîte mail structurelle (instantanément car ouverte 24h/24) et n’a plus à revenir vers le champ médical. Les potentielles décisions seront maintenant judiciaires. Il est important que la personne à l’origine du signalement fasse apparaître le plus de détails possibles sur la fiche transmise comportant trois points : les faits, les doléances et l’examen clinique. Ce dernier doit faire état avec précision des lésions de la victime, tant sur un plan physique que psychique. Avec ces précisions, le Procureur de la République a deux voies qui s’offrent à lui : soit le signalement ne mérite pas plus d’investigation, il sera classé ; soit il fera l’objet d’un approfondissement et les services de Police et de Gendarmerie seront saisis pour enquêter. Il revient donc au Procureur d’estimer s’il y a lieu de placer la victime sous protection et d’entamer une enquête. Par la suite, seuls la victime et l’auteur pourront être convoqués.

Avant cette loi, la Police ou la Gendarmerie étaient des intermédiaires entre le médical et le Procureur, à ce jour, la procédure s’est allégée pour encourager mais aussi faciliter les signalements de violences conjugales.

La féérie de l’emprise, vraiment ?

S’il est utile de comprendre le fonctionnement de la loi appliquée à des cas de violences conjugales, prenons un nouvel angle, cette fois-ci pour comprendre comment en arrive-t-on à des violences au sein d’un couple. Le phénomène d’emprise ainsi que l’expérience de Magali Teillard-Dirat, psychologue, nous ont été relatés.

L’emprise s’installe doucement et de façon insidieuse. Cependant, en est-elle pour autant la cause des violences conjugales ? Selon le psychiatre Français Alberto Eiguer, dans tous les couples ce phénomène existe. Il ajoute que c’est la façon par laquelle elle s’exerce qui en fait un problème : la perversion fait son entrée. Tentons de mettre en pratique ces quelques connaissances avec un conte de fée imaginaire… Prenons une histoire d’amour qui débute entre deux individus, n’est-ce pas un merveilleux moment ? Choisissons Cendrillon et le Prince Charmant. La découverte de l’autre, de l’attention, des compliments, des rires, en bref, 100 % love bombing ! Déjà à ce stade cependant, le Prince fera tout de façon obsessionnelle, pour que Cendrillon tombe sous son charme. Une fois cette première étape de la « prise » passée, arrive la domination. Alors que la relation se poursuit, la princesse prend pour habitude de cuisiner le dîner à son cher et tendre. Un soir, ce dernier lui fait une remarque désagréable sur sa recette, « trop cuit ! » enchaînant directement avec un commentaire positif « mais ça n’est pas si grave, tu es magnifique ce soir ». Cendrillon aura tendance à se rappeler la seconde partie. Des dialogues de ce genre vont se répéter à travers divers mécanismes : le chantage affectif, le cloisonnement qui empêchera la belle de sortir voir ses amis… Cette phase laisse place à l’ultime pas à franchir pour le Prince Charmant : marquer de son empreinte sa dulcinée… On ose imaginer de quelle façon. Si les deux premières phases étaient caractérisées par de la violence psychologique, les coups physiques font leur apparition, en prenant tout de même le soin qu’ils ne soient pas visibles. Pour la victime, elle se trouve dans un climat angoissant de toujours se rehausser à la hauteur des espérances de son partenaire, mais aussi et surtout baigne dans une perte totale de subjectivité, bien souvent à l’origine des refus de signaler ces violences psychiques et physiques…

La relation d’emprise est donc marquée par un pervers narcissique d’un côté qui agit et surtout se nourrit de sa victime via divers mécanismes (psychologiques puis physiques), tandis que cette dernière ne peut se détacher non pas de son « Prince » mais de la relation. Alors les contes de fée, toujours aussi inspirants ?