CFP2022

R04 – Étude médico-psychologique des adolescents radicalisés confiés à la PJJ en France : mesure comparée – Guillaume Bronsard

Ils, elles, sont adolescents.es, poursuivis pour association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste (AMT). Départ en Syrie, diffusion sur internet de menaces ou d’incitation à des actions hostiles, agression par arme blanche, sont les faits pour lesquels ils ont été interpellés. La recherche des dimensions psychologiques voire psychopathologiques qui sous-tendent cette forme d’engagement s’est posée et le ministère a diligenté une enquête dont les résultats étaient présentés et discutés par Guillaume Bronsard, psychiatre et directeur de l’Observatoire National de la Protection de l’Enfance.

Mad ? Bad ? or Sad ?

Son expérience auprès d’enfants confiés à la PJJ est une référence pour discuter les proximités et les différences entre ces jeunes référés à l’autorité judiciaire pour des motifs différents. Ont-ils des troubles mentaux / Mad ? Ont-ils des troubles empathiques / Bad ? Sont-ils suicidaires / Sad ? sont les questions auxquelles devait répondre cette étude basée sur une méthodologie non interventionnelle d’entretien et de questionnaires.

Qui sont-ils ?

Sur 31 adolescents auxquels on a proposé l’entretien, 15 ont accepté. L’ampleur du refus et le nombre final d’entretiens limite la portée des observations sur le plan statistique, mais les tendances qui se dégagent ont tout de même un réel intérêt.

La première est la proportion de filles dans l’échantillon (6/15), bien plus élevée que dans les populations PJJ « habituelles ». La deuxième est la proportion élevée de projets professionnels dans les métiers d’aide à la personne (9/15). On retrouve cette dimension d’ouverture à autrui en examinant les motifs d’engagement avancé par les adolescents : la dimension altruiste de soutien à la population syrienne, la quête d’une société « idéale » avec moins d’injustice et de discrimination, sont des motifs bien plus exprimés que l’attirance pour le combat armé. La dimension d’ennui est aussi présente, la quête spirituelle, souvent récente chez ces jeunes est une forme de réponse à un sentiment de vide de l’existence.

Pas mad, pas bad, mais un peu tristes quand même

La majorité des jeunes AMT ne présente pas de trouble psychopathologique à la différence des jeunes accueillis en Centre Educatif Fermé (CEF). La différence majeure concerne les troubles des conduites, peu présents chez les AMT (20 %) versus CEF (80 %). En revanche les troubles dépressifs et anxieux sont plus présents mais sans risque suicidaire majeur. Sur le plan intellectuel, ils se situent dans la moyenne et n’ont pas d’impulsivité marquée. Les scores d’empathie sont également élevés à la différence des jeunes en CEF. De façon surprenante, la relative absence d’aspects psychopathologiques chez les jeunes AMT n’est pas reliée à un environnement familial toujours sécure et protecteur. Les violences émotionnelle et physique dans l’enfance sont présentes dans près de la moitié des cas et une aide éducative ou des placements sont mentionnés dans les mêmes proportions. C’est moins marqué que chez les jeunes accueillis en CEF mais cela reste assez significatif.

Mourir pour des idées

Comment comprendre le décalage entre ces données contextuelles et le retentissement clinique limité ? L’engagement idéologique, religieux, nationaliste, constituerait-il un rempart, un mode de réponse à l’adversité d’enfance plus « efficace », même si l’adhésion à cette cause spécifique comporte des conséquences potentiellement très graves. La relative absence d’idées suicidaires ne serait-elle que la surface visible d’une posture subjective où l’acceptation de la mort comme possibilité donnerait une valeur plus grande encore au don de soi pour une cause juste ?

S’il semble prématuré de vouloir répondre à ces questions, les tendances dégagées par l’étude apportent une forme d’optimisme au devenir de ces jeunes. Leurs ressorts psychologiques comportent des qualités relationnelles et morales proches de leur groupe de référence, reste à savoir comment ils vont vivre leur confrontation à la réalité judiciaire concernant la nature de leur engagement. Une étude de suivi de ces jeunes aurait été particulièrement intéressante. Mais elle n’a pas fait partie des propositions du ministère au décours de ce travail.

 

Christophe Recasens
Créteil