CFP2022
S24 – Les substances psychédéliques en psychiatrie : une approche (re)naissante

Et si participer à une fulll moon party pouvait vous aider à traiter votre anxiété, voire même vos addictions ? Rien n’est moins sûr car le paradis des psychédéliques ne garantit pas toujours l’arrivée à l’Eden, juste la substance. Mais ce n’est pas en Thaïlande que vous aurez la réponse mais bien en Suisse où les psychédéliques peuvent être prescrits et où le set et le setting dévoilent leur importance. Ce pays qui a vu naître le LSD fortuitement suite au trip d’un de ses chimistes, a encore des choses à nous apprendre sur les psychédéliques via les trois intervenants de cette conférence.

 

En apesanteur

Entendre et goûter des couleurs, voir des sons, et être en béatitude devant eux. Autant de promesses du LSD, sans bad trip, dues à la baisse de la connectivité générée entre les aires associatives et l’augmentation de la connectivité entre les aires sensorielles et les différentes régions du cerveau. Des effets que prônent certains sur leurs performances au travail, leur concentration et leur bien-être. Mais, au-delà de nous rendre synesthètes ou plus performants, le LSD peut-il soigner ? C’est la question que soulève Gabriel Thorens en rappelant que les psychédéliques, telle que la psilocybine, peuvent être pris en parallèle aux antidépresseurs puisque ceux-ci ne diminuent pas l’effet aigu ressenti. Si les psychédéliques demeurent un traitement de dernière intention, ils peuvent s’associer à une psychothérapie classique ou plus spécifique. Leur efficacité se base sur un principe de l’apprentissage par inhibition, développée par Michelle Craske, qui fait que le nouvel apprentissage acquis lors de l’exposition inhibe l’apprentissage précédent.

Dans la prise en charge de l’anxiété le principe n’est donc pas de diminuer l’intensité, comme dans les thérapies d’exposition, mais de transformer la perception en elle-même lors de la situation anxiogène. Pour étudier l’efficacité dans le soin, difficile d’établir des grosses cohortes étant donné la rareté de la prescription. À part installer son laboratoire sur une plage de Koh Phangan afin d’espérer trouver plus de 30000 potentiels consommateurs, les études de cas restent les plus faisables en pratique. Et c’est ce que nous présente Gabriel Thorens à partir du cas d’un de ces patients. Trois séances avec une exposition progressive dans un ascenseur et suivies de séances d’intégration. Ici la psilocybine est présentée comme du glutamate ou de la sauce poisson en Asie, c’est à dire comme un exhausteur de goût des psychothérapies. En d’autres termes, si on ajoute de la sauce poisson sur des sushis pas frais, leur goût avarié en sera tout autant renforcé tout comme si l’on ajoute des psychédéliques sur une psychothérapie non adaptée.

Un petit champi ?

Un petit champi, un shoot de LSD ou encore une dose de MDMA, trois substances qu’il est possible de prescrire en Suisse mais avec un process bien spécifique dont la nécessité d’une autorisation gouvernementale. Ces noms qui impressionnent certains peuvent être aussi source d’une attente majeure pour le patient. Beaucoup ne voient pas les éléphants roses espérés, ce qui génère une certaine déception. Et à chaque substance son patient et son trouble. Dans le cas de l’évitement phobique, par exemple, la MDMA sera à privilégier du fait de son action de diminution de l’activité amygdalienne. La substance n’est pas le seul élément psychédélique de la prise en charge et le cadre revêt aussi toute sa dimension mystique. Dans ce genre de thérapies on oublie les canapés avec les environnements neutres et on privilégie l’éveil des sens. Un peu comme un centre de massage thaïlandais, sans la full option, les fleurs, parfums, lumières tamisées sont de rigueur.

Ce cadre a toute son importance car, lorsque l’on parle des pouvoirs de recontextualisation des psychédéliques, le nouveau contexte créé peut s’avérer pire que le précédent si on ne contrôle pas suffisamment le cadre et son aspect sécuritaire. Comme un cachet de MDMA, ou le cœur ne se trouverait que sur une de ses faces. A l’heure où les débats sur l’intérêt de l’expertise mystique dans ce type de thérapies se posent, Ansgar Rougemont Bucking, nous rappelle aussi que ces traitements ne correspondent pas à tous les patients et ont un coût.

Soigner la drogue par la drogue

Toutes les drogues n’ont pas le même potentiel de dépendance et risque d’overdose. Si le LSD et la psilocybine sont à risque moindre voire nul, l’héroïne en revanche tient le haut du tableau. Mais cela demeure différent selon le set et le setting et donc selon le contexte de la prise. Un de ces premiers constats a fait suite à la guerre du Vietnam, dans un contexte de guerre où les soldats étaient détachés de leur quotidien. Alors que leur addiction était grave, la majorité des soldats, une fois retournés aux Etats-Unis, n’avaient plus d’addiction. Et, comme nous interroge Frederico Seragnoli, est-ce que se droguer ne ferait pas partie de la nature humaine et est-ce qu’on ne pourrait pas avoir un fonctionnement normal par un usage maitrisé de la drogue ? C’est un peu le principe de l’héroïne médicale par traitement de substitution qui consiste à ne pas éviter la substance mais à la contrôler. Et si les psychédéliques maitrisés permettaient d’élever notre esprit ? C’est ce que laissent penser les mécanismes d’actions des psychédéliques avec une augmentation de la neuroplasticité cérébrale, une flexibilité cognitive augmentée, davantage d’ouverture d’esprit et une dissolution de l’ego.  L’utilisateur de psychédéliques peut alors se comparer à l’astronaute qui comprend qu’il n’est qu’un point dans un espace infini. Mais il n’est pas tout de créer de nouvelles connexions, l’essentiel reste de savoir les utiliser.

Alors prêts pour une full moon, ou une arrivée directe sur la lune ?

Auriane Gros,
Nice