CFP2023

D3 : Débat-Création – Peut-on encore rêver en 2023 quand on a 20 ans ?

Débatteurs : Michel JOUBERT – Saint-Denis, Lou JOUBERT-BOUNHIK (comédienne, mise en scène) – Bruxelles – Belgique, Lolita MORANGE (musicienne) – Montreuil et Fania MORANGE (musicienne) – Dijon

Derrière les statistiques alarmantes en santé mentale chez les jeunes, à leur paroxysme suite à la crise sanitaire du Covid-19, une voie d’entrée pour penser un avenir meilleur est celle du rêve. Cette conférence au format original, mêlant réflexion, témoignage, musique et chant, a retracé ce que signifie avoir 20 ans en 2023. Alors, mieux vaut être dans la Lune ou avoir les pieds sur Terre ?

Michel Joubert (chercheur en sociologie), Lou Joubert-Bounhik, (comédienne), Lolita Morange (musicienne) et Fania Morange (musicienne) ont fait le pari d’une intervention originale, rythmée et venant éveiller tous les sens. Pensée telle « une échappée par rapport à la radicalité des chiffres », cette intervention est revenue sur deux challenges inhérents à cet âge de la bascule : l’invention de soi à travers le corps et la recherche d’une place.

Avoir 20 ans en 2023, ça veut dire quoi ?

Il est aisé d’énumérer les problématiques qui entravent le moral et les rêves de tout un chacun : les conflits armés, la pandémie de Covid-19 et le confinement, le réchauffement climatique, la précarisation croissante et bien d’autres. Toutefois, ce sont surtout les jeunes qui ressentent de manière exacerbée le poids de cette charge mentale intense et accentuée. À 20 ans, tous les sens sont en alerte, créant un véritable tourbillon d’expériences : sensibilités, émotions, déceptions, aspirations, appréhensions, autant de voies d’éveil que de potentiels éléments perturbateurs dans ce processus maturatif. Cocktail explosif avec lequel « faire avec » dans un monde bouleversé et bouleversant. Malgré tout, à 20 ans, les jeunes sont autorisés et surtout encouragés à rêver. 

Pierre Bourdieu parlait de la « jeunesse » comme n’étant qu’un mot, masquant alors l’enjeu de la transmission qui s’effectue entre les générations. Avoir 20 ans serait donc avant tout être dans un entre-deux tout autant qu’un entre-soi. Pas encore adulte mais plus enfant, c’est l’âge de la bascule. C’est aussi l’âge de la maturité en train de se faire, de la découverte de nouveaux mondes. Ce point de bascule n’échappe alors pas à la rêverie qui lui est nécessairement associée. Toutefois, nous ne sommes pas toutes et tous égaux : rappelé à juste titre par les intervenants, la génération Z est loin d’être homogène dans ses possibilités de rêver.  Une partie des 16-20 ans des milieux dits populaires se trouvent plus souvent assimilés à des problématiques de violence, de réception aux addictions exacerbée, de transgressions. Les rêves raisonnables s’écartent, s’invisibilisent et deviennent absents. 

Rêver d’être soi : corps, genres et sexualité tourmentés au gré des normes

Avoir 20 ans en 2023, c’est accorder de l’importance à la thématique du corps, du genre et de la sexualité. Étape importante pour chacun, elle résonne peut-être encore davantage à notre époque, dans une société fortement marquée par des normes de genre, de sexualité, et d’apparences. Si les contours de ces normes sont en train d’être redéfinis, la transition de l’adolescence à l’âge adulte est notamment marquée par une quête de reconnaissance sociale.

Par exemple, le poids des images via les médias sociaux ou la pornographie exercent une influence considérable sur la perception que les jeunes ont de leur propre corps et de leur sexualité. À ce titre, les travaux d’Isabelle Claire, sociologue, montrent comment les adolescents cherchent à se démarquer des stigmates sociaux véhiculés par ces médias en adoptant des postures corporelles, des tenues vestimentaires et des comportements relationnels qui correspondent à leurs idéaux de normalité. C’est, en d’autres termes, particulièrement le moment de faire en sorte de se reconnaître comme appartenant à un genre plutôt qu’un autre, pour s’affirmer de façon identitaire et pour être reconnu au sein de la société. 

Bien que des évolutions significatives aient été constatées, notamment chez les plus favorisés où les luttes pour la reconnaissance de l’homosexualité, du féminisme et d’autres mouvements progressistes ont altéré les perceptions traditionnelles de la masculinité et de la féminité, les scripts de comportements fortement genrés persistent encore dans les milieux plus modestes. 

En somme, avoir 20 ans en 2023 représente un moment où se cristallisent les questionnements et les défis liés à la perception de soi, à la construction identitaire et à la quête de reconnaissance sociale dans un monde en perpétuelle évolution. C’est aussi le moment où le rêve d’être soi, de s’affirmer dans sa propre identité, se heurte parfois à l’impossibilité ou à la fatigue de devoir constamment se conformer aux attentes et aux normes sociales.

Chercher sa place quand on a 20 ans

Avoir 20 ans en 2023, c’est aussi chercher sa place. Mais, comment trouver sa place lorsque l’on sait que 63% des 18 -24 ans se définissent comme « solitaires » ? L’isolement social, fortement accentué par les mesures prises lors de la crise sanitaire de Covid-19, témoigne d’un repli et d’une invisibilisation de certains jeunes. Le rêve est alors entravé : se faire une place requiert des conditions matérielles, sociales et psychiques. Or, à 20 ans, ces conditions ne sont pas toujours réunies. Souvent à la croisée des chemins, confrontés à des incertitudes multiples, l’accès à l’éducation, à l’emploi, au logement et à d’autres ressources essentielles peut être parsemé d’obstacles et de difficultés, accentués par les dynamiques sociales et économiques de notre époque.

Malgré ces défis, de nombreux jeunes trouvent des moyens innovants et inspirants pour créer des espaces d’inclusion, d’expression et d’action. De l’engagement à des mouvements (multiples, sur la lutte pour le climat, la biodiversité etc.) pour rêver d’un monde meilleur aux initiatives communautaires, en passant par l’utilisation de plateformes en ligne pour partager des expériences et des idées, les jeunes générations façonnent activement le monde qui les entoure. Ces actions viennent ancrer la volonté forte d’agir, à la fois individuellement et collectivement. Surtout, les jeunes montrent finalement qu’ils peuvent faire face. 

En définitive, avoir 20 ans en 2023 c’est particulièrement éprouvant, stimulant et profondément transformateur. Le rêve, lorsqu’il est possible, constitue un puissant moteur dans cette quête d’immensité, chère à la jeunesse. Être dans la Lune ou avoir les pieds sur Terre est alors un jeu d’équilibriste sous-tendu par des réalités sociales parfois consternantes. 

 

Manon Leloup, Paris