CFP2023

C3 : Sommeil et rêve : psychothérapie physiologique ?

Modératrice : Carmen SCHRÖDER – Strasbourg
Conférencière : Perrine RUBY – Lyon 

De Freud à Christopher Nolan en passant par Lewis Carroll, le rêve est un phénomène qui questionne autant qu’il fascine les Hommes depuis la nuit des temps. Pourquoi certaines personnes se souviennent mieux de leurs rêves que les autres ? De quoi sont-ils faits ? Quelles sont leurs fonctions et comment en tirer profit ?

Perrine Ruby, chercheuse en neuroscience cognitive, se joint à Morphée pour arpenter les mystères du sommeil et de la psyché en tentant d’apporter quelques éléments de réponses à ces interrogations énigmatiques…

I have a dream…

Si vous faites partie des personnes qui se souviennent fréquemment de leurs rêves, c’est que l’activité cérébrale de votre jonction temporo-pariétale est plus élevée que chez celles pour lesquelles ce n’est pas le cas. Ça vous fait une belle jambe ? On vous explique.

Il semblerait que ce soient les réveils nocturnes qui permettent au cerveau d’encoder les rêves. En effet, une étude a montré que les personnes dont les éveils intra-sommeil étaient de deux minutes se remémoraient davantage leurs rêves que celles pour qui ces éveils se limitaient à une minute. Par ailleurs, cette zone cérébrale serait impliquée dans le réseau de l’attention et pourrait ainsi expliquer pourquoi les individus sensibles aux sons notamment, se réveillent plus facilement. Une autre étude vient confirmer cette théorie en démontrant que les psychotropes qui améliorent la continuité du sommeil diminuent parallèlement la fréquence de rappel de rêve, puisqu’ils limitent les phases de réveils nécessaires à l’encodage de ceux-ci.

Lorsque l’on s’en souvient, le rêve est souvent le terrain de jeu de bizarreries et d’étrangetés où se mêlent incohérences, émotions fortes et souvenirs subtilement transformés. Le contrôle n’y a plus sa place, nous laissant ainsi perplexe au réveil face aux interrogations qui fusent quant au sens de cette fable chimérique.

Rêve et émotion : quelle relation ?

Tandis que Freud s’inscrit comme pionnier dans l’intérêt qu’il accorde au rêve comme objet d’étude. Philosophes, scientifiques et chercheurs rallient sans tarder sa curiosité.

Parmi les diverses hypothèses soulevées quant aux fonctions possibles du sommeil (consolidation de la mémoire, stimulation de la créativité,…), c’est celle d’un rôle dans la régulation émotionnelle que Perrine Ruby nous invite à explorer.

La littérature scientifique suggère que le sommeil paradoxal, où se logent les rêves dont nous avons une chance de nous rappeler, serait particulièrement impliqué dans le maintien d’une activité émotionnelle adaptée au réveil. Il participerait notamment à l’atténuation progressive de la dimension émotionnelle associée à un souvenir.

Pour aller plus loin dans cette compréhension, des chercheurs ont voulu tester l’hypothèse selon laquelle la rémission des symptômes associés à l’État de Stress Post-Traumatique (notamment une gestion des émotions ébranlée) s’accompagnait d’une amélioration du sommeil. Effectivement, on sait que lorsque le sommeil et les rêves dysfonctionnent, la régulation émotionnelle est altérée. Mais qu’en est-il de la réciproque ?

L’étude examinait la relation entre la diminution des symptômes de l’ESPT et l’amélioration du sommeil chez des militaires traités par EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing). Les résultats ont ainsi révélé une évolution positive de la qualité subjective du sommeil ainsi qu’une augmentation de sa durée. D’autre part, on observe une hausse de la densité des mouvements des yeux en sommeil paradoxal après rémission des symptômes par traitement EMDR, ce qui présume que ces mouvements joueraient un rôle spécifique dans la régulation des émotions.

Les travaux de Vallat et ses collaborateurs (2017)  ont par ailleurs étudié le rôle des rêves en observant la façon dont les souvenirs de la vie éveillée intégraient leurs contenus. Les résultats montrent que ces souvenirs seraient la matière première des rêves, puisque 83 % de ces derniers incorporeraient au moins un souvenir, principalement issu de la veille (40 %) ou datant de plus d’un an (18 %). De plus, il semblerait que la version rêvée d’un souvenir ait une intensité émotionnelle moindre que la version vécue, qu’elle soit positive comme négative.

Le modèle neurocognitif du cauchemar de Nielsen et Levin (2007) corrobore également l’hypothèse d’un rôle du rêve et du sommeil dans la régulation émotionnelle en atténuant l’intensité émotionnelle des souvenirs. En effet, quand le processus échoue et que le sommeil est mauvais (comme dans l’ESPT, notamment), les rêves ne fonctionnent plus normalement et donnent lieu à des cauchemars, contribuant ainsi à altérer la gestion des émotions. Ce dysfonctionnement, lorsqu’il n’est pas traité, peut aller jusqu’à l’apparition de symptômes dépressifs voire d’idées suicidaires.

Épiphanie et psychothérapie

Freud considère le rêve comme étant la voie royale vers l’inconscient. Grâce à la prise de conscience de certains aspects de nos fonctionnements psychiques (par le biais d’associations libres notamment), nos rêves pourraient ainsi être source d’épiphanie sur le plan personnel. Un grand nombre d’œuvres artistiques et découvertes scientifiques ont d’ailleurs trouvé leur source dans un rêve.

Il semblerait alors que ce phénomène partage des objectifs communs à la psychothérapie. Sterpenich et ses collaborateurs (2019) mettent en lumière ses propriétés cathartiques. En mettant en scène une crainte profonde, le rêve invite la peur à s’exprimer puis s’évacuer, nous laissant plus à même de gérer une telle situation à l’éveil. Par ailleurs, à la manière de l’Image Rehearsal Therapy, qui consiste à opérer une restructuration cognitive pour remanier les scénarios des cauchemars, la transformation subtile d’un souvenir au cours d’un rêve permettrait d’en atténuer la charge émotionnelle.

L’hypothèse d’une autre propriété thérapeutique du rêve aurait été émise par des chercheurs durant la crise sanitaire du COVID. Il s’agirait d’un effet compensateur des émotions où, lorsque notre vécu serait négatif, le fait de rêver d’éléments positifs contribuerait à rééquilibrer notre balance émotionnelle intérieure.

Ainsi, après avoir parcouru le contenu et les fonctions du rêve à travers la littérature scientifique, ce voyage onirique nous porte à repenser notre relation avec l’inconscient. Les songes ne sont pas seulement des fictions absurdes mais traitent du sujet et de son intimité, de sa sensibilité profonde, de sa perception du monde et de la société dans laquelle il évolue. Là où nous les laissons trop souvent à l’éveil, Perrine Ruby nous invite à saisir l’essence de nos rêves afin d’en savourer toute la richesse thérapeutique.

En effet, à l’instar de la psychothérapie, « le rêve ne pense ni ne calcule, d’une manière générale il ne juge pas : il se contente de transformer » (Freud, 1956).

 

Mélisande Etiévant,
Paris