Sessions du CFP2024 : Session thématique S11 – À la recherche du temps perdu : l’approche narrative comme fenêtre sur l’esprit et Conférence C1 – La spiritualité du patient : qu’en faire ?

Quelle est la nouvelle tendance en psychiatrie ces dernières saisons ? L’empowerment, dans la collection autonomie-bien-être-santé mentale. Le concept séduit tout de suite, parce qu’il s’inscrit dans un mouvement d’émancipation et de justice sociale. Puis, il circule à travers le monde et défile sur différentes scènes sociales. Ça le transforme. Il conserve sa forme phonétique mais son fond se dépolitise. Il devient un prêt-à-penser, une injonction paradoxale : « Sois empoworé ! ». Cette nouvelle discipline contribue à sur-visibiliser ceux qui ont les codes et invisibiliser davantage ceux qui ne les ont pas, les plus exclus, ceux dont la voix reste inaudible.

Aux origines de l’empowerment

L’empowerment a été initialement défini comme englobant deux dimensions : « celle du pouvoir, qui constitue la racine du mot, et celle du processus d’apprentissage pour y accéder »1. C’est donc autant un processus que le résultat de ce processus. Pour Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener, l’empowerment englobe, à ses débuts, des dimensions individuelles, collectives, sociales et politiques, visant à l’autoréalisation, à l’émancipation individuelle et à la transformation sociale. Le concept est alors associé à des notions de justice sociale, de solidarité, de reconnaissance, d’émancipation, de démocratisation et de science citoyenne. Puis, l’empowerment est devenu à la mode. Le concept a été domestiqué et dépolitisé. Il s’est éloigné de ses origines sociales et collectives ; tout comme son corollaire, l’autonomie. Isabelle Astier décrit ce mouvement de bascule, de passage de l’autonomie en tant que voie d’émancipation et de découverte de soi à une injonction extérieure, une discipline d’autonomie2.

La santé, c’est le bien-être et vice versa

Cette injonction à l’autonomie va de pair avec une injonction au bien-être, devenu synonyme de santé, en accord avec la définition de la santé de l’OMS. Selon Caroline Nizard, le concept de bien-être répond aux exigences de nos sociétés néolibérales et mondialisées3,4. Le bien-être y est perçu comme un voyage individuel de conscience de soi et de maîtrise de soi5. Il renforce la responsabilité personnelle et maximise du potentiel individuel 6. Avec ce déplacement vers une « injonction au bien-être »6, la responsabilité de la santé et du bien-être n’est plus sociale mais individuelle, modifiant ainsi le rôle de l’individu dans la société7. Les patients contemporains doivent donc être prêts à s’engager activement dans leurs propres soins et à promouvoir leur propre santé. On peut y voir une volonté de transférer le fardeau des responsabilités de l’État à l’individu8.

Sois Autonome !

Dans une récente étude sociologique que j’ai menée, un représentant d’usagers a exprimé sa défiance quant à cette injonction, pour le moins paradoxale, à l’autonomie : « Empowerment- Nouvelles technologies -santé mentale = trucs pas bons qu’on veut nous imposer. La philosophie de reprendre pouvoir sur sa vie c’est bien mais c’est cité dans tous les rapports gouvernementaux, ça sent l’embrouille »9. Effectivement, l’empowerment est désormais au centre des préoccupations gouvernementales en matière de santé mentale. Pour exemple, l’OMS affirme que le moment est venu d’œuvrer pour l’empowerment afin d’atteindre le plus haut niveau de santé, ce qui ne peut être réalisé que lorsque leur santé mentale et leur bien-être sont assurés10.

Peut-on être contre l’empowerment ?

Dans ce contexte, faut-il continuer de vouloir « empowerer » davantage les individus ? Et sinon, est-il possible de s’opposer à un concept qui prône originellement l’émancipation ? Peut-être, en suivant la voie de Manon Loisel et Nicolas Rio, Pour en finir avec la démocratie participative11. On n’arrêterait alors pas seulement de vouloir empowerer les individus, on irait jusqu’au « disempowerment ». On arrêterait d’essayer de donner aux personnes présentant des troubles psychiques le pouvoir de s’exprimer d’une manière -conforme- leur permettant d’être entendues. On apprendrait à écouter leurs paroles, de sorte qu’elles puissent constituer un contre-pouvoir du monopole médical. L’extension du champ de la psychiatrie à la santé mentale, puis au bien-être, voire au bonheur a contribué à sur-visibiliser ceux qui ont les codes et invisibiliser davantage ceux qui ne les ont pas, ceux qui ont les troubles les plus sévères, dont les voix restent inaudibles. Accéder et promouvoir l’expérience et le « point de vue des personnes concernées » constitue une posture méthodologique et politique pouvant contribuer à une renégociation des dynamiques de pouvoir entre les différents acteurs du champ.

Margot Morgiève,
Paris.

Références
1. Bacqué, M.-H. & Biewener, C. L’empowerment, Une Pratique Émancipatrice? (La découverte, 2015).
2. Astier, I. Les Nouvelles Règles Du Social. (Puf, 2015).
3. Jiménez, A. C. Culture and well-being: Anthropological approaches to freedom and political ethics. (2007).
4. Nizard, C. Un esprit sain dans un corps sain.: Le yoga contemporain, une allégorie du bien-être? Emulations-Revue de sciences sociales (2020).
5. Cederström, C. & Spicer, A. Le Syndrome Du Bien-Être. (Échappée (L’), 2016).
6. Cabanas, E., Illouz, E. & Happycratie, E. Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies. Paris: Premier Parallèle (2018).
7. Ehrenberg, A. La société du malaise 1: Une présentation pour un dialogue entre clinique et sociologie. Adolescence 29, 553–570 (2011).
8. Swan, M. Health 2050: the realization of personalized medicine through crowdsourcing, the quantified self, and the participatory biocitizen. Journal of personalized medicine 2, 93–118 (2012).
9. Morgiève, M. et al. Analysis of the Recomposition of Norms and Representations in the Field of Psychiatry and Mental Health in the Age of Electronic Mental Health: Qualitative Study. JMIR mental health 6, e11665 (2019).
10. World Health Organization. The WHO Special Initiative for Mental Health (2019-2023): Universal Health Coverage for Mental Health. (2019).
11. Rio, N. & Loisel, M. Pour En Finir Avec La Démocratie Participative. (Textuel, 2024).