CFP2023
S01 – Santé planétaire : face au cauchemar du déni, osons la décroissance !

Président : Nicolas Franck – Bron
Orateurs : Fabrice Berna – Strasbourg,  Guillaume Fond – Marseille, Vincent Laprévote – Nancy

C’est bien parce qu’aux plus hautes instances d’un Etat, on peut encore être ou feindre d’être ignorant des conséquences de 150 ans de révolution industrielle et d’extractivisme sur l’atmosphère et le climat, malgré des rapports concordants et alarmants depuis des dizaines d’années, qu’il est urgent de ne plus attendre des décisions politiques pour agir. Les orateurs de ce symposium l’ont bien compris et transmis, en montrant à quel point les professionnels de la santé ont toutes les raisons de s’engager dans une réflexion et une évolution concrète des pratiques.

Ce qui est pathologique n’est pas l’éco-anxiété, c’est l’éco-déni (G. Fond)

Face à la prise de conscience de la dégradation du milieu de vie, sols et eaux contaminés par des produits phytosanitaires, pression hydrique, disparition massive des espèces, alimentation dégradée, trop riche en sel, en graisse, en sucre, trop carnée, il est légitime d’exprimer une appréhension, un souci, voire une profonde inquiétude face aux conséquences, aux risques pour les génération à venir, et face à l’inaction des États au service des organisations commerciales, énergétiques, agro-alimentaires, pharmaceutiques, ou encore des transports et de la défense. Le déni est peut-être une protection efficace contre l’angoisse individuelle, il est en revanche beaucoup plus dangereux pour le bien commun.

La santé représente 8 % des émissions de CO2, un quart provenant de l’industrie pharmaceutique. Ce n’est pas négligeable et nous devons nous sentir concernés par tout ce qui aiderait à réduire l’empreinte de nos pratiques, si tant est que cela soit possible. Les progrès de la médecine nous semblent tellement étroitement liés aux progrès de la science et de la technique, qu’il paraît contre-intuitif d’imaginer un « retour en arrière » vers un moindre recours aux ressources disponibles. L’évolution du PIB, malheureusement devenu l’étalon de mesure de la santé d’un pays, est étroitement corrélée à l’évolution de l’espérance de vie des individus et à la dépense énergétique, ce qui semble condamner toute solution décroissante. Et pourtant…

Nous avons ouvert les portes de l’enfer (A. Gutteres, Secrétaire Général de l’ONU)

Un problème majeur du modèle basé sur la croissance, sa vision court-termiste, nous rend aveugle aux effets collatéraux, à la cascade de conséquences négatives liées à la création de besoins et de dépendance à des besoins, et à la destruction du milieu, pour faire survivre un modèle consumériste de l’existence. Si l’on examine de plus près l’évolution de la morbidité en fonction du PIB, on constate certes une diminution des maladies infectieuses, de la mortalité infantile liée notamment à la vaccination, mais on observe sous d’autres aspects une dégradation de la santé physique et psychique. Obésité, hypertension, diabète, cancers et troubles psychiques augmentent dans les pays développés. Il a fallu se doter d’un riche mais coûteux et très énergivore arsenal de médicaments anti-hypertenseurs, antidiabétiques, anticancéreux, anxiolytiques, pour soigner les « maux du progrès », de la sédentarité et de la junk-food.

C’est dans tous les domaines de la santé, sur chaque « poste de dépense » qu’une bifurcation doit être cherchée, sans renoncer à la qualité des soins, en adoptant des pratiques moins gourmandes économiquement et moins polluantes écologiquement.

Sur-diagnostic et sur-prescription : Primum non prescribere

Dans le domaine de la médecine somatique comme en psychiatrie, le sur-diagnostic est à l’origine de traitements inutiles comportant des risques iatrogènes et des coûts sans bénéfice. En psychiatrie, les troubles dépressifs et anxieux sont concernés, avec plus de sur-diagnostics que de sous-diagnostics. La tendance à l’évaluation dimensionnelle, au diagnostic établi par des scores aux échelles sans véritable lecture clinique et psychopathologique contribue à une pathologisation croissante de situations adaptatives, de fluctuations d’humeur dont la médicalisation n’est pas nécessaire. Pour les antipsychotiques, 40 % des prescriptions sont faites en dehors de l’indication princeps (SCZ, TBP1 et EDM) et 8 % des patients reçoivent des doses excessives.

Au travail de recensement de ces pratiques inadaptées doit s’adjoindre une analyse des mécanismes de la surprescription si l’on veut endiguer le phénomène, ce qui passe par une formation des cliniciens à mieux prescrire, moins prescrire et aussi déprescrire. Les risques majeurs de non-interruption et de dépendance aux benzodiazépines sont connus des médecins qui ne font pas suffisamment preuve de la vigilance nécessaire après l’instauration de ces traitements. 40 % des traitements initiés par les BZD ne seront jamais arrêtés !

Le recours aux nutraceutiques et phytoceutiques comme alternative aux traitements conventionnels est de mieux en mieux documenté pour le traitement de l’anxiété, de la dépression et peut-être même des troubles psychotiques. La méditation en pleine conscience prend aussi sa place dans la prévention et le traitement écologiquement vertueux de ces troubles.

Téléconsultation, prévention par l’alimentation et l’activité

La disponibilité des outils de téléconsultation, de télédiagnostic, limite les trajets pour se rendre chez le médecin ou le thérapeute. Il faut s’assurer que la qualité des soins n’est pas affectée. Un premier indicateur est celui de la satisfaction des patients exprimée lors d’enquêtes, le fait d’être chez soi pour échanger avec le psychologue ou le psychiatre est bien accepté et ne nuit pas à la qualité de l’échange. Les méfaits de l’alimentation actuelle sur la santé physique et psychique est probablement un des domaines où les bénéfices individuels du changement de régime se conjuguent le mieux avec les bénéfices pour le milieu. L’agression des organismes vivants n’a pas lieu seulement hors de notre corps, elle a lieu aussi à l’intérieur. L’altération du microbiote par les antibiotiques et d’autres composants présents dans l’alimentation, plaide pour une alimentation moins riche en viande, particulièrement la viande bovine responsable d’émissions importantes de gaz à effet de serre et d’une forte consommation d’eau. Le recours à une alimentation locale, moins soumise à des traitements conservateurs, moins transformée, participe aussi d’une évolution raisonnable, avantageuse pour les producteurs, les consommateurs et l’environnement. Les effets bénéfiques du jeûne sont aussi à prendre en compte, des résultats positifs sur l’anxiété et la dépression sont retrouvés même si d’autres études doivent en préciser les indications et la forme. L’activité physique est aussi reconnue comme facteur améliorant la santé psychique, réduisant le risque dépressif. Enfin la qualité de la vie sociale contribue à la stabilité émotionnelle et constitue un autre facteur de prévention des troubles psychiques.

Les personnes engagées sont les plus heureuses (Pablo Servigne)

L’engagement lucide dans un travail d’information et d’alerte sur les risques, la reconsidération des pratiques avec la mise en avant d’une prévention accessible malgré le poids d’imposants groupes de pression, donnent à la philosophie du soin et à la profession médicale des perspectives moins exclusivement centrée sur le techno-solutionnisme, où les progrès pour la santé des personnes ne se réalisent plus au détriment du milieu mais à partir d’ une meilleure compréhension des rapports avec lui.

 

Christophe Récasens
Créteil