CFP2022

S01 : Les fausses croyances sur la psychiatrie : où, quand, comment ?

Président : Marc Antoine Crocq

Depuis la traduction du livre de Kahneman* en 2018, on voit se multiplier les revues, les podcasts, les émissions, consacrées à l’étude des biais cognitifs qui habitent notre raison confiante et répandent sur nos jugements et nos décisions des erreurs auxquelles nous restons aveugles en dépit de nos capacités à traiter correctement les informations. Cette session présidée par Marc-Antoine Crocq s’intéressait aux liens entre les processus de pensées associés aux phénomènes de croyance et de connaissance, pour en comprendre la genèse et la persistance, en mesurer les conséquences problématiques pour l’information du public comme pour le travail du clinicien et du chercheur.

Ce que les hommes veulent en fait, ce n’est pas la connaissance, c’est la certitude
(Bertrand Russell)

Stéphane Mouchabac a développé une approche évolutionniste, adaptative du mécanisme de la croyance. Si cette construction cognitive, fragile et même dangereuse, persiste, elle répond probablement à des nécessités qu’il faut identifier. La croyance est définie par le mode d’adhésion à l’idée plus que par l’idée elle-même. Elle est associée à une position de certitude, et s’oppose en cela aux connaissances qui supposent le doute, la possibilité d’un examen critique, d’une acceptation de l’erreur et de l’effort de correction de l’erreur. Il y a plusieurs façons de concevoir les mécanismes générateurs de la croyance. La fragilité des perceptions comme source de connaissance, l’inconfort du vécu d’incertitude qui frustre les besoins d’anticipation, de prédiction, l’aversion au sentiment de perte lié au changement de point de vue, et plus généralement le coût élevé de la ressource attentionnelle nécessaire à un examen sérieux de chaque question sont autant de façons de comprendre la persistance de la croyance dans les activités de la pensée. Une approche plus positive de la croyance consiste à lui reconnaître des vertus socialisantes, par le partage d’illusions consolatrices, de fictions créatrices de sens, dont il importe peu qu’elles soient vérifiables ou démontrables.

Les certitudes sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
(Friedrich Nietzsche)

En plongeant dans les eaux troubles des réseaux sociaux, Jean-Victor Blanc a rapporté quelques filets dérivants de fake-news, d’une nocivité à grande échelle dans l’océan de l’information. Pour l’utilisation des termes spécifiques de la psychiatrie, une étude toulousaine sur la messagerie Twitter a montré leur mésusage dans 46 % des cas, et leur association quasi constante à des aspects négatifs. L’utilisation caricaturale, depuis longtemps dans les médias, du terme de schizophrénie pour caractériser des pratiques politiques ou sociales ambivalentes, contradictoires, pour décrire la duplicité des discours, ne fait que se renforcer sur les réseaux, le terme d’autisme pour décrire des attitudes non concertées, la non prise en compte d’un contexte, fait aussi partie des termes couramment employés. Certains coming out de personnes en vue concernant leurs troubles mentaux ont pu avoir des effets de déstigmatisation, de meilleure connaissance de la réalité des patients, mais les personnes concernées subissent aussi des revers à cette exposition et s’en trouvent finalement plus stigmatisées encore.

Malgré la somme des inconvénients associés aux réseaux asociaux, la chronophagie, les aspects négatifs sur l’humeur, l’emprise des like, la désinhibition haineuse, la valorisation des opinions au détriment des connaissances, la prolifération des pratiques ésotériques, Jean-Victor Blanc ne préconise pas l’évitement et soutient au contraire l’intérêt de les investir, dans une intention vertueuse de correction, de clarification, de pédagogie, mais aussi de participation à la vie d’une communauté d’idées.

Le pire ennemi de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais l’illusion de la connaissance
(Stephen Hawking)

L’intervention de Coraline Hingray clôturait le symposium par un examen critique de sa pratique à la lumière des travaux de Kahneman et de recherches plus spécifiques de notre discipline. Audacieuse auto-analyse de sa démarche d’accès à la connaissance, de sa méthode de collecte d’informations, du rôle de l’expérience, de l’intuition, la part des influences extérieures et finalement de la façon dont elle traite l’ensemble de ces informations pour établir son point de vue clinique. Le rappel des explications assez farfelues concernant l’hystérie depuis Hippocrate nous ferait sourire si nous persistions dans l’illusion que ces erreurs grossières fondées sur l’absence de réfutation possible appartiennent au passé. Impossible après avoir lu Kahneman et compris la portée de ses travaux, d’ignorer la fragilité de nos raisonnements face au traitement de données aussi complexes que celles relatives à l’histoire, la psychologie et la psychopathologie d’une personne rencontrée dans le cadre d’une relation de soins.

La tendance à surestimer nos connaissances, un des “aliments” de choix du système 1, confiant et paresseux, rapide et économique, mais peu enclin à se raviser, peut conduire à un recueil insuffisant d’informations, aggraver le biais de confirmation qui rétrécit notre espace de réflexion. D’autres facilités nous guettent comme la corrélation illusoire qui nous fait établir des liens de causalités entre des évènements reliés mais indépendants. Des interférences d’un autre ordre, moral ou affectif, contaminent l’évaluation de certaines conduites comme les comportements suicidaires, les comportements dits “de séduction” ou de “manipulation”, les mises en échec, et nuisent à une approche compréhensive des situations où les interactions sont difficiles à établir.

L’analyse de nos présupposés et l’écoute (ou la lecture) attentive des personnes concernées quel que soit leur style relationnel ne relèvent pas seulement de l’éthique de la rencontre, elles sont une nécessité épistémique si l’on veut parvenir à établir les liens authentiques entre les phénomènes, comportementaux, affectifs, relationnels, que nous étudions au travers de cette rencontre et grâce à elle.

La multitude des biais recensés par Coraline Hingray, et leur incidence sur la pratique clinique devrait être enseignée dès les premières années d’études avec des injections de rappel tout au long de la carrière pour entretenir nos défenses contre l’aveuglement théorique, la paresse naturelle et le confort de nos certitudes. Malheureusement le temps et l’expérience ne protègent pas et peuvent même accroître la tendance à ne pas savoir remettre en question un diagnostic, à trop faire confiance aux connaissances acquises, à se satisfaire d’une routine confortable, rapide et intuitive, au détriment d’un effort plus consistant, d’une méthode plus rigoureuse et d’une meilleure ouverture à d’autres points de vue.