JPPA8 – Le suicide de l’âge adulte à l’âge avancé

  • Le suicide n’est pas une fatalité. Christian BAUDELOT
  • Suicide et émotions chez les personnes âgées dépressives : analyse oculométrique. Yoan BARSZNICA
  • Une approche sociologique de la qualité des liens et des interactions sociales chez les personnes âgées déprimées et suicidantes. Bérénice LAMBERT

Les points forts :

  • Les causes sociologiques ne suffisent plus à expliquer la baisse du taux de suicide constatée ces dernières années.
  • En revanche, l’accès plus facile aux soins et les nouveaux dispositifs de prévention pourrait y contribuer.
  • Des techniques d’eye-tracking pourraient distinguer les patients âgés déprimés suicidaires des non suicidaires.

On observe une baisse régulière des taux de suicide depuis plusieurs années. Est-elle liée aux approches thérapeutiques pluridisciplinaires des comportements suicidaires et de leur prévention ?  Y a-t-il des caractéristiques sociologiques et cognitives spécifiques chez les personnes âgées déprimées suicidaires ?

Le point de vue du sociologue

Le sociologue considère le suicide comme un fait social mais pas comme un événement individuel ou un drame personnel. Son objectif est de chercher les causes de ces variations. Par exemple, la fréquence des suicides est plus importante chez les hommes que chez les femmes et dans les pays riches.

En France, une augmentation du suicide a été observée durant le 19e siècle, puis trois fléchissements lors des guerres de 1870, 1914 et 1945. Un plateau a été observé ensuite, correspondant aux 30 glorieuses. Une montée spectaculaire du suicide a été observé après 1975 avec la crise financière et les chocs pétroliers. Entre 1980 et 2016 , le taux de suicides a baissé de 27,8 à 11/100 000 habitants chez les hommes et de 22 à 5,9/100 000 habitants chez les femmes quel que soit l’âge ou les catégories sociales. Ces tendances ont aussi été observées dans d’autres pays.

Il n’y a pas d’explication sociale pour comprendre cet infléchissement comme auparavant. En revanche, d’autres hypothèses peuvent expliquer cette baisse : déstigmatisation de la maladie mentale et du suicide, accès plus facile aux soins, offre de soins plus variée, prescription plus large des anti-dépresseurs, notamment de la fluoxétine en 1987, meilleure prise en charge des souffrances psychiques, reconnaissance du suicide comme problème de santé publique, action des associations de prévention et les réseaux sociaux (25 associations crées depuis 1987). En outre, les connaissances sur les facteurs de risque environnementaux, sociaux, biologiques, psychologiques et culturels des comportements suicidaires se sont enrichies.

Dans son livre fameux « Le suicide, étude de sociologie », Durkheim avait montré en 1897 que les liens sociaux (religion, familles nombreuses, couple…) protègeaient du suicide. En conclusion, Baudelot a soulevé l’hypothèse qu’aujourd’hui, les nouveaux liens sociaux étaient partagés via les réseaux sociaux. Des dispositifs, tels que Vigilans et Papageno, d’aide au suivi des personnes à risque sont des exemples marquants d’amélioration de la prévention des conduites suicidaires qui créent du lien.


Des déficits d’inhibition et de flexibilité chez les patients âgés déprimés suicidaires : intérêt de l’eye-tracking

Le risque de décès par suicide est plus important chez les sujets âgés. Ils utilisent des moyens plus létaux avec des degrés de scénarisation plus importants. La dépression unipolaire est retrouvée chez 80 % des patients suicidants âgés de plus de 75 ans.

On connait depuis longtemps dans cette classe d’âge les déficits d’inhibition aux tests neurocognitifs et les modifications du traitement de l’information émotionnelle qui favorisent les passages à l’acte suicidaires (Szanto et al. 2012). Les mouvements oculomoteurs sont représentatifs des émotions chez les sujets âgés dépressifs et suicidaires. Les émotions faciales (joie, colère, tristesse, dégout, peur) peuvent être explorées à l’aide de techniques d’eye-tracking analysant les stratégies visuelles. Chez les personnes âgées, la focalisation va se faire préférentiellement sur la partie inférieure du visage et va éviter les yeux.

Une analyse par eye-tracking, en cours, pourrait être intéressante pour distinguer les patients âgés déprimés suicidaires des patients non suicidaires. Les résultats préliminaires ont retrouvé une hyperfixation sur la bouche des portraits qui exprimaient le dégout chez les sujets âgés dépressifs avec conduites suicidaires par rapport aux non suicidaires.


Sociologie et eye-tracking sont-ils solubles ?

Les défauts d’inhibition cognitive observés chez les sujets âgés suicidaires peuvent-ils être atténués, notamment par la qualité des liens sociaux ? L’étude « Obsuival » psychologique et sociologique couplée aux techniques d’eye-tracking tente actuellement de répondre à cette question. Les auteurs ont exploré les ruptures brutales, ruptures biographiques multiples avec ancrage social limité, ancrage sociaux compliqués par des conflits, et ancrage sociaux limités et/ou insatisfaisant avec désengagement. Les résultats préliminaires indiquent que les déficits de flexibilité retrouvés chez les sujets dépressifs suicidants par rapport aux non suicidants, pourraient être aggravés par le ressenti de leurs liens et interactions sociales.