Dans un article récent publié dans le Hors Série de Philosophie Magazine (N°50) consacré à l’amitié, Eva Illouz, sociologue, directrice d’études à l’école de Hautes Etudes en Sciences Sociales fait le constat suivant : Pourquoi ne célébrons nous pas l’amitié avec la même énergie frénétique que celle que notre culture déploie pour célébrer l’amour ?

L’amitié, selon Francis Wolff, se définit comme “une bienveillance mutuelle et une confiance réciproque”. L’amour est différent, il s’ouvre souvent avec une dimension dramatique. On tombe amoureux, alors qu’on ne tombe pas amicaux. Il y a une dimension possible de choix, de prédilection dans l’amitié, alors que dans l’amour, cela est absent. “C’est elle, c’est lui, je ne sais pas pourquoi”. L’amour baigne dans une dimension mystérieuse qui fait que chacun s’abaisse pour être plus haut l’un avec l’autre, ensemble. Dans l’amour, il n’y a pas de “contours”, comme le précise Jean Luc Nancy. Alors que dans l’amitié, l’ami a un caractère propre, des qualités propres.

Une autre différence que pointe rapidement E. Illouz dans son article, c’est la dimension sexuelle présente dans l’amour, et la possibilité d’une souffrance, d’un drame dans l’amour. Certes, on peut avoir des périodes d’inimitié, mais on n’observe jamais une perdition existentielle dans l’amitié. On pourra être déçu, amer, avoir des regrets pour un ami, mais la perte de soi, une perdition, une remise en question profonde de sa dimension existentielle ne vont se rencontrer que dans des moments de crise amoureuse. Et c’est là, la grande différence. Le désir est présent dans la rencontre amoureuse. Et c’est ce désir qui est au centre de la culture de consommation. Il faudra donc prouver son amour, montrer la ferveur de son désir par un joli voyage, une parure en or, une superbe soirée dans un restaurant haut de gamme, …. L’amour, reconstruit dans les valeurs culturelles contemporaines demande de la performance, de la responsabilité, du dépassement de soi, réclame toujours plus. Vous rajoutez à cela une dimension sexuelle, et la panoplie est complète. C’est pour cela qu’il y a un tel tapage pour la Saint Valentin, qui a perdu tout sens. L’amitié, elle, demande de la mesure, de la réciprocité, du temps, et même un peu de discrétion. Et surtout, l’amitié ne demande pas plus qu’un petit verre de l’amitié. Alors, essayons de reprendre la phrase d’Aristote, “Sans amis, personne ne choisirait de vivre”, et essayons de redonner les vraies couleurs à l’amour.

Eva Illouz viendra présenter ses travaux de recherche lors d’une conférence exceptionnelle qui se tiendra le samedi 4 Décembre.