Illuminer ses néo-neurones, mieux que le poisson pour la mémoire ?

Pour étudier la neurogenèse, il faut pouvoir étudier les néo-neurones. Or, il n’est pas facile d’observer sélectivement le fonctionnement d’un groupe défini de neurones dans le cerveau. En effet, la pharmacologie manque de précision : les mêmes récepteurs sont exprimés par un grand nombre de neurones différents, et l’injection d’une substance active dans le cerveau affecte potentiellement une grande variété de neurones en plus de ceux que l’on souhaite étudier. Les techniques d’électrophysiologie sont également difficiles à appliquer, car les nouveaux neurones ont les mêmes propriétés électriques que leurs semblables plus âgés. L’optogénétique, une technique révolutionnaire développée depuis quelques années à l’université de Stanford en Californie, permet d’étudier précisément le fonctionnement de certains neurones. Tout commence par l’injection de virus modifiés pour atteindre sélectivement les néo-neurones. Ces virus contiennent l’ADN de canaux ioniques sensibles à la lumière. Le virus modifie alors l’ADN des neurones-cibles pour leur faire exprimer le dit canal ionique. Ainsi, une fois cette opération effectuée, en appliquant de la lumière d’une certaine couleur, on peut activer de manière très précise les néo-neurones.

Les recherches de l’équipe de Pierre-Marie Lledo commencent par une tâche d’apprentissage simple chez la souris, soumise à deux odeurs très différentes, dont une est associée à une récompense, et que la souris apprend donc à reconnaître et vers laquelle elle va se tourner préférentiellement. Le premier résultat de cette expérience montre que la cinétique de cet apprentissage (tâche facile) n’est pas améliorée par les nouveaux neurones. Cependant, si la tâche est difficile (deux odeurs très proches), il faut plus de temps à la souris pour la mémoriser (reconnaître la bonne odeur associée à la récompense, et y revenir plus systématiquement). Dans ce cas, si les néo-neurones sont stimulés spécifiquement, l’apprentissage est plus rapide. De plus, il existe un  « effet dose », c’est-à-dire une relation entre le nombre de néo-neurones et les performances d’apprentissage de la souris. La fréquence de stimulation des néo-neurones est également importante.

Neurogenèse et affect

La physiologie qui sous-tend ces phénomènes a également été étudiée : les neurones produits à l’âge adulte sont inhibiteurs (ils utilisent le neurotransmetteur GABA). Ils jouent en fait un rôle de « filtre » pour synchroniser les neurones, et n’ont donc pas une fonction d’inhibition « à l’aveugle » de tous les neurones. Chez la souris saine, les antidépresseurs ont un effet sur la maturation des neurones déjà existants. De plus, ils stimulent les précurseurs des néo-neurones, et augmentent leur survie et leur connectivité. La corticostérone induit un phénotype dépressif chez la souris, qui peut être reversé par la fluoxétine dans 30 % des cas. Cela implique que certains animaux sont résistants à ce traitement antidépresseur.  Les animaux résistants à fluoxétine produisent moins de néo-neurones que leurs semblables sensibles à l’antidépresseur. Consécutivement, il a également été montré que la corticostérone, qui diminue la capacité d’apprentissage lors d’une tâche complexe, voit son effet annulé par la fluoxétine chez les animaux qui sont sensible à ce médicament. Fort de ces résultats, un projet de recherche va prochainement débuter chez l’homme, en utilisant la venlafaxine cette fois.

Olivier Andlauer, Besançon.