Les anomalies que vous citez dans votre résumé (SHANK 3, SLC6A8, AP1S2) sont elles associées des caractéristiques cliniques très spécifiques ?

Dr Anne Philippe : Pour le moment, ces anomalies, de découverte récente, sont rapportées chez des enfants ayant des troubles assez peu spécifiques, répondant aux critères de Trouble Envahissant du Développement (TED) au sens large, c’est-à-dire mêlant trouble autistique et trouble envahissant du développement non spécifié. En effet, le plus souvent, ces cas cliniques sont publiés dans des revues de génétique, aussi la description développementale et psychiatrique est abordée succinctement. Plus facilement objectivables que les symptômes, des signes paracliniques ont été repérés de façon spécifique comme la calcification des ganglions de la base apparaissant avec l’âge ou une hyperprotéinorachie chez les sujets porteurs de mutations dans le gène AP1S2, impliqué dans le recyclage de vésicules synaptiques. Et, au fur et à mesure de l’observation de ces cas par des psychiatres, neurologues, psychologues, orthophonistes, psychomotriciens, etc… on peut s’attendre à ce que des caractéristiques cliniques communes concernant davantage les aspects développementaux (psychomoteur, langage, perception, etc..) commencent à émerger comme par exemple la fréquence d’épisodes de régression sévère au cours de l’évolution des sujets porteurs de mutation dans le gène SHANK3 qui code pour une protéine de la densité post-synaptique des voies glutamatergiques (2,3).

Ces enfants auraient-ils un diagnostic de trouble autistique au sens de Kanner ? de TED au sens du DSM IV ou de TSA ?

Dr Anne Philippe : Pour les gènes cités ci-dessus, ce sont le plus souvent des troubles du langage, de la communication et des difficultés d’interactions sociales qui sont au premier plan, expression d’une déficience intellectuelle sous-jacente plus que l’indifférence aux personnes ou les intérêts idiosyncrasiques mis en avant par Kanner. Mais il existe d’autres anomalies conduisant à une grande diversité de troubles d’apprentissages et dans certains cas à des troubles autistiques typiques et des syndromes d’Asperger comme la duplication 15q11-q13 ou l’exposition in utero au valproate (4)qui n’est pas au sens strict une anomalie génétique constitutionnelle mais qui modifie l’expression de certains gènes au cours du développement du fœtus et est souvent associée à d’autres malformations, dysmorphie faciale ou anomalies des extrémités, notamment.

Lorsque vous insistez sur l’observation clinique de ces enfants, à quoi faites-vous référence ?

Dr Anne Philippe : L’identification de plus en plus fréquente de l’étiologie nous offre l’occasion de repenser la clinique de ces troubles souvent perçue comme tellement hétérogène que la tentation est grande pour réduire cette complexité de les regrouper sous une même catégorie, TED pour le DSM-IV hier, ou TSA pour le DSM-5 aujourd’hui. En faisant l’hypothèse que l’étiologie influence de façon particulière le développement cognitif du sujet, le regroupement de ces sujets devrait faciliter le repérage d’une sémiologie plus caractéristique (5). Cette approche permet d’isoler des profils prototypiques assez uniques au sein de la diversité clinique des TED à la manière d’Heller, de Kanner ou de Rett qui observant en 1965 dans la salle d’attente de son cabinet deux fillettes avec des mouvements des mains répétitifs de lavage puis comparant leurs antécédents cliniques et de développement, découvre qu’ils étaient très similaires. Cet éclairage supplémentaire permet aussi de considérer certains phénomènes ou symptômes jusqu’à présent peu pris en compte (je pense par exemple aux symptômes neurovégétatifs ou neuromoteurs) car jugés comme mineurs ou encore difficile à comprendre et rattachés de façon hâtive à des symptômes mieux identifiés (épilepsie, catatonie par exemple).

Ce constat vous incite-t-il à accorder une valeur à la description initiale de cet auteur ou à la relativiser ?

Dr Anne Philippe : Les monographies cliniques sont actuellement délaissées au profit de grandes séries de patients réalisées dans le cadre de collaborations alors que ces 2 approches sont nécessaires et s’enrichissent mutuellement. Aujourd’hui encore, l’article princeps de Léo Kanner sert de repère à la clinique de l’autisme tant par la richesse du matériel clinique rapporté que par la synthèse et l’identification des caractéristiques essentielles. La valeur prototypique des cas cliniques devrait donc encore contribuer à une meilleure connaissance du phénotype qui va devenir essentielle pour interpréter dans les années à venir les nouveaux variants identifiés avec la généralisation des techniques de séquençage haut débit à visée diagnostique.