Pourquoi il ne faut pas dépénaliser l’usage du cannabis ?

Pr Jean Costentin (docteur en médecine, professeur de pharmacologie)

Ce débat s’inscrit dans un contexte inquiétant. Les deux drogues licites en France sont le tabac avec 13 millions de fumeurs et 73 000 morts chaque année (un fumeur sur deux meurt du tabac), et l’alcool avec 4 millions d’alcoolo-dépendant. La 1ère drogue illicite est le cannabis avec 1 500 000 usagers réguliers, 600 000 consommateurs quotidiens. Autre fait inquiétant : les produits circulants actuellement sont 4 à 8 fois plus dosés que par le passé. Les conséquences somatiques sont multiples et diverses : le cannabis contient 7 fois plus de goudrons cancérigènes que le tabac (à l’origine de cancer ORL et pulmonaire plus précoces et plus fréquents, etc.) ; il entraîne une augmentation des infarctus du myocarde, des accidents vasculaires cérébraux, des artérites des membres inférieurs ; il est par ailleurs immunodépresseur, et a des incidences multiples sur la grossesse et le fœtus (prématurité, risque accru de TDAH dans l’enfance, etc). Les méfaits psychiques sont tout aussi multiples : diminution de l’éveil, de l’attention, syndrome amotivationnel, trouble de la mémoire, de la cognition. Il provoque un effet anxiogène succédant à un effet anxiolytique initial, ainsi qu’un effet dépressogène faisant suite à un effet antidépresseur initial. Enfin, il est inducteur de psychoses et de schizophrénies.

La Loi protège

La Loi de 1970 a rendu illicite le cannabis, la décision initiale était intuitive mais est, de nos jours, basée sur des faits scientifiques. La suède a ainsi connu, dans les années 70, une période de grand laxisme, suivie d’une Loi interdisant la consommation de cannabis. Aujourd’hui, elle compte 10 fois moins de toxicomanes que la moyenne européenne grâce à cette prévention très précoce. En ce qui concerne la transgression et l’attirance qu’elle peut susciter, le Pr Costentin considère qu’il faut alors situer la transgression au plus bas. Légaliser le cannabis risque de déplacer la transgression au niveau d’autres produits. L’interdit doit rester au niveau du tabac et de l’alcool.

Drogues : faut-il interdire ?

Jean-Pierre Couteron (psychologue clinicien, président de la fédération d’addictologie) 

Le débat sur la dangerosité somatique et psychique du cannabis n’existe plus. Les dangers sociaux sont de même bien connus. L’autre danger est la précocité de l’usage, avec toutes ses conséquences sur la construction de la personnalité. En effet, la réponse aux épreuves difficiles à traverser de l’adolescence devient le cannabis (entre 12 et 15 ans, 300 000 adolescents ont consommé) et non la construction de sa personnalité par l’affrontement des difficultés.

La Loi doit évoluer et s’adapter à l’époque

La Loi n’est pas adaptée à la situation de gravité existant en France comme en témoigne le paradoxe entre une Loi répressive et une consommation majeure. La Loi de 70 a eu plusieurs effets pervers : mesure de maintien de l’ordre public et non de santé publique, différence majeure d’interpellation et de sanction en fonction du lieu d’habitation du consommateur, etc… Outre ses effets pervers, de très nombreuses études montrent la quasi-inefficacité de cette politique de pénalisation de l’usager sur la consommation. En revanche le dispositif législatif qui fait qu’on rencontre un produit a lui une certaine efficacité. Ainsi, ce qui joue ce sont les conditions d’accès, par exemple, la vente dans des boutiques spécialisées. Il faut donc une Loi qui encadre la rencontre entre le produit et le consommateur. La Loi doit s’adapter à l’époque, celle de 1970 est dépassée. La société des années 70 diffère de celle des années 2010 avec une évolution majeure dans le rapport à la sensation : la recherche de sensation forte est devenue le critère premier. Par ailleurs, attendre est devenu aujourd’hui insupportable : la culture du plus vite prédomine et ouvre un boulevard à la culture de la substance. De même, la recherche de la performance est poussée à l’extrême ce qui contribue aussi à la culture de l’addiction. Il faut donc moderniser la Loi et l’adapter. En ce qui concerne les questions de l’interdit et de la transgression, ce n’est probablement pas l’interdit mais l’intensité de la consommation qui attire (comme en témoigne le binge drinking).

Concernant la question du cannabis thérapeutique, le débat reste entier

Même débat, même combat avec persistance de la notion de danger d’un côté : ce qui qualifie un médicament est le rapport bénéfice / risque, or les bénéfices du cannabis sont très minimes par rapport aux risques. – Débat distinct et invitation à la tolérance de l’autre : il faut distinguer les deux débats, cannabis-drogue (réflexion sociétale) et cannabis-thérapeutique (réflexion pharmacologique). S’il est utile pour certains, pourquoi ne pas les laisser en profiter de manière encadrée ?