Dans son livre publié en 2006, Les sentiments du capitalisme, Eva Illouz, sociologue, directrice d’études à l’école de Hautes Etudes en Sciences Sociales analyse finement la saisie par le système capitaliste de la sphère émotionnelle de l’individu.

Tout a commencé par la genèse de l’Homo Sentimentalis. Les psychologues ont peu à peu défini des modèles de comportements. Ceux-ci ont été appliqués aux techniques de communication, puis de management. Mais attention, il ne s’agit pas de penser que brutalement tout a changé. Non, l’évolution s’est faite de manière subtile, lente, et a permis de définir des nouvelles modalités de sociabilité au sein de la sphère professionnelle. Et c’est là, le changement. Le lieu de travail n’était plus un “désert émotionnel”. Il est à noter que cette évolution s’est aussi développée dans le champ privé (mais nous y reviendrons dans une présentation prochaine).

Puis sont apparues les théories de Carl Rogers avec comme principe la santé mentale comme condition normale de la vie, et la réalisation de soi, “définie comme la motivation propre à chaque forme de vie et qui la pousse à vouloir développer ses potentialités le plus complètement possible”. La réalisation de soi devient une nécessité, et même un droit. Et c’est là, la bascule. Le moi, et c’est l’hypothèse d’Eva Illouz, devient “une forme profondément institutionnalisée, par l’Etat, les mouvements sociétaux, les catégories diagnostiques. L’intelligence émotionnelle devient un outil de classification, qui fait des émotions, ou des sentiments “des catégories classifiables et quantifiables”. C’est alors que des études montrent que ceux qui ont un score d’intelligence émotionnelle supérieure à la moyenne font …. plus de profits. L’intelligence émotionnelle est reliée à la performance, …. et la boucle commence à se boucler. Il faut alors apprendre à gérer ses émotions …. Le profil émotionnel définit la personne sociale. Peu à peu, une standardisation se met en place, dont un des meilleurs exemples est les sites de rencontres “amoureux” sur internet. Le moi psychologique privé disparaît, le moi psychologique se saisit lui-même, s’expose, se classe, se critérise, se quantifie, …. se vend.

“Dans la culture du capitalisme émotionnel, les émotions sont devenues des entités évaluables, examinables, discutables, quantifiables et commercialisables.” Des programmes commerciaux de développement personnel, d’émancipation du moi fleurissent, avec des offres bonus alléchantes. N’ayez pas peur, ne pleurez pas, car vous risquez de faire baisser certaines valeurs phares du CAC 40.

Eva Illouz viendra présenter ses travaux de recherche lors d’une conférence exceptionnelle qui se tiendra le samedi 4 Décembre.