CFP2022

S19A – Comment le rêve annonce les crises psychiatriques ?

Cet article revient sur la conférence de Pierre Alexis Geoffroy portant sur le rêve comme potentiel indicateur de « crises psychiatriques ». D’études en études, je vous propose un cheminement onirique dont la destination est la prédiction de la suicidalité. Alors, détendez-vous, gardez vos yeux bien ouverts et remontez la couette !

Dormons !

Sans grande surprise, il a été mis en évidence que la durée du sommeil – comme marqueur le plus utilisé en médecine du sommeil – est corrélée à la prévalence de troubles psychiatriques. Par exemple, si l’on parle de la prévalence des troubles psychiatriques selon des individus dormant moins de 5 heures, plus de la moitié a une pathologie psychiatrique sur l’année contre 28 % pour ceux dormant entre 7 et 8 heures. Plus intéressant encore dans le cadre de cet article, si l’on parle de la prévalence des tentatives de suicide pour ces mêmes individus, le taux de prévalence sur l’année est de 11 % (<5h de sommeil) versus 3 % (7-8h). Légitimement nous pouvons alors nous poser la question de savoir s’il existe un autre marqueur que la durée de sommeil, capable de prédire la suicidalité d’un individu donné ? C’est en tout cas ce vers quoi tend une partie des résultats de l’étude de cohorte de Zurich. Avec un suivi sur 30 ans de quasiment 600 individus (population représentative de la population générale) pour ce volet « altérations du sommeil – suicidalité », les résultats de l’étude nous indiquent que les troubles du sommeil, quel que soit le niveau de gravité des symptômes, permettraient de prédire la suicidalité.

Prédisons !

Entrons un peu plus finement dans cet univers si particulier du sommeil. Une autre étude, Australienne cette fois, a porté sur les altérations du sommeil et la présence d’idées suicidaires le jour suivant. Les 51 participants à l’étude (présentant des idées suicidaires lors de l’étude) évaluaient de façon autonome la durée, l’efficacité et la latence du sommeil. Ils portaient en plus de cela, une montre capable de surveiller les mêmes critères. Ces mesures dites objectives ont été complétées par des mesures subjectives des participants : ils disposaient d’un journal quotidien de sommeil, qu’ils complétaient chaque jour. Les résultats obtenus ont été les suivants : une courte durée ainsi qu’une mauvaise qualité de sommeil permettraient de prédire la sévérité de l’idéation suicidaire le lendemain. Poursuivant dans cette logique, les chercheurs se sont également intéressés au contenu des rêves et cauchemars et au risque suicidaire associé. Aucune association n’a cependant été mise en évidence.

Distinguons !

Si l’on résume jusqu’ici : c’est bien la sévérité et la fréquence des cauchemars plutôt que leur contenu qui prédit les idées suicidaires. Une autre étude a alors voulu différencier les mauvais rêves – dysphoriques – et les cauchemars – mauvais rêves qui réveillent le dormeur – en s’intéressant au contenu, notamment le scénario suicidaire dans le rêve avant un passage à l’acte. Les participants à l’étude ont été recrutés dans une unité de post urgence psychiatrique pour une crise suicidaire. Ce qui a été observé : 80 % des patients ont présenté des altérations du sommeil avant la crise suicidaire, dont 68 % avaient des mauvais rêves, 52.5 % des cauchemars et 22.5 % ont joué leur scénario suicidaire au cours de leur rêve. Enfin, ces chercheurs sont allés encore plus loin en s’intéressant à la chronologie de ces altérations du sommeil et en proposant un modèle de prédiction de la suicidalité : en moyenne, les mauvais rêves apparaitraient 4 mois avant la crise suicidaire, les cauchemars 3 mois avant et les scénarios suicidaires 1 mois et demi avant. Ce modèle n’est évidemment pas retrouvé chez l’ensemble des participants à l’étude, mais propose un premier modèle encourageant.

En bref, ces études nous montrent à quel point les altérations du sommeil sont de bons indicateurs pour la santé mentale et plus particulièrement la suicidalité. Surtout, de belles perspectives de prévention et d’intervention sur la crise suicidaire sont possibles !