Retour CFP 2014

Au premier plan des préoccupations des psychiatres, surtout hospitaliers, et des travaux des chercheurs dans les années 1980 et 1990, les schizophrénies ont par la suite laissé cette place aux troubles de l’humeur, en particulier les troubles dépressifs complexes et comorbides, les dépressions résistantes, les troubles bipolaires atténuées. Depuis très peu de temps, il semble que le balancier revienne vers les troubles psychotiques, qui intéressent de plus en plus d’équipes de recherche. Ce symposium a illustré quelques-uns des champs actuels d’investigation de ces pathologies.

Sessions thématiques du congrès 2014 :
S1 – Changer de paradigmes dans les approches de la schizophrénie : de Bleuler aux hypothèses actuelles
Président : Pierre Michel LLORCA – Clermont-Ferrand
>S1A – Changer de paradigme sémiologique : et si Bleuler avait raison ?
Eric FAKRA – Marseille
>S1B – Changer de paradigme physiopathologique : schizophrénie et vitamine D
Pierre VIDAILHET – Strasbourg
>S1C – Changer de paradigme thérapeutique : schizophrénie et antiinflammatoires
Guillaume FOND – Créteil

Sur le plan sémiologique, après une large place accordée à la clinique des troubles cognitifs de la schizophrénie, c’est désormais dans le champ des troubles émotionnels que les travaux les plus novateurs se portent. Si Bleuler avait déjà ciblé cette dimension (“La détérioration émotionnelle prend la première place du tableau clinique”, 1911), elle était par la suite passée au second plan. Pourtant, ces dysfonctionnements des processus émotionnels sont largement prédictifs du pronostic, aussi bien en terme d’habiletés sociales que d’autonomie ou de qualité de vie. De même que les perturbations cognitives apparaissaient comme le chaînon intermédiaire entre perturbations neurobiologiques et manifestations psychiques et comportementales pathologiques, les troubles de la perception émotionnelle peuvent être considérés comme un processus  intermédiaire dans la relation entre cognition et fonctionnement global. Les recherches actuelles portent sur l’ensemble des anomalies de l’expérience émotionnelle chez le sujet schizophrène : la perception émotionnelle (reconnaissance des émotions d’autrui), le ressenti émotionnel, les manifestations physiologiques objectives ou “éveil émotionnel”, et l’expressivité émotionnelle (motricité faciale). L’induction émotionnelle expérimentale peut se faire par exemple par projection de photos ou de film à contenu émotionnel variable. On a ainsi pu montrer que l’expression émotionnelle des sujets souffrant de schizophrénie était en général diminuée, mais que leur ressenti émotionnel et leur réactivité émotionnelle était plutôt augmentés : la diminution apparente de l’expression émotionnelle de ces sujets ne correspondrait donc pas à une moindre capacité à ressentir les émotions, mais à une difficulté à exprimer ce ressenti. Ce point est évidemment central pour expliquer certaines difficultés relationnelles du schizophrène, le patient étant perçu par l’entourage (par les thérapeutes?) comme peu accessible aux émotions, alors qu’au contraire il est hyper-sensible.
Par ailleurs, la reconnaissance des émotions d’autrui apparaît diminuée chez les schizophrènes (déficit de théorie de l’esprit qui peut rendre compte des difficultés d’intégration sociale de ces patients), et la négligence émotionnelle semble corrélée avec une diminution du volume total de matière grise, et en particulier du volume de matière grise du cortex pré-frontal dorso-latéral.
Une autre piste de recherche exposée dans ce symposium a concerné les liens entre perturbations du métabolisme de la vitamine D et schizophrénie, champ d’étude qui fait l’objet d’un nombre important de publications récentes. Une étude de Grudet et al. (2014) vient par exemple de montrer que les patients (atteints de troubles thymiques, de troubles psychotiques, ou de troubles schizophréniques) qui avaient fait une tentative de suicide avaient des taux abaissés de vitamine D plasmatique. De plus, un taux abaissé de vitamine D chez ces patients était associé avec un niveau élevé de cytokines inflammatoires IL-6 and IL-1β dans le sang.

 

Un désordre immunitaire ?

Les liens entre processus immuno-inflammatoires et troubles mentaux, en particulier psychotiques sont d’ailleurs de plus en plus manifestes, comme le montrent par exemple les effets thérapeutique croisés entre anti-inflammatoires, anti-infectieux et psychotropes. On observe dans ces pathologies psychiatriques des dysrégulation des réponses immunitaires, dont témoignent les profils anormaux des cytokines circulants pro- et anti-inflammatoires. Les nombreuses comorbidités entre troubles psychiatriques sévères et maladies inflammatoires chroniques ont fait proposer à certains auteurs l’hypothèse de maladies inflammatoires multisystémiques affectant le cerveau et certains organes périphériques. Ces liens seront sans doute au centre de la recherche biologique des années à venir dans le domaine des troubles mentaux, et en particulier psychotiques.