CFP 2019
Les écrans – Écran(s) total, faut-il s’inquiéter des addictions ?
Président : Georges BROUSSE – Clermont-Ferrand

L’OMS a depuis peu défini l’addiction aux jeux vidéo dans la Classification Internationale des Maladies ICD-11
Ce trouble est caractérisé par un comportement persistant ou récurrent de jeu digital ou sur Internet durant au moins 12 mois entrainant une gêne significative, avec :

  • des difficultés à contrôler le comportement de jeu (début, fréquence, intensité, initiation, fin et contexte)
  • la priorité donnée aux activités de jeu, de plus en plus au détriment des autres intérêts et des activités quotidiennes
  • la poursuite ou l’augmentation des activités de jeu malgré la survenue de conséquences négatives.

Alors que nous passons de plus en plus de temps à communiquer par mails, à s’informer sur Internet, qui remplace les journaux traditionnels comme source d’informations, le terme « addiction »  peut-il être aujourd’hui appliqué aux écrans ?

Fantasme ?
S’agit-il d’usages excessifs ou de réelles addictions ? Les critères OMS, inspirés des addictions aux substances, sont très discutés pour plusieurs raisons :
  • difficultés à définir des seuils pathologiques clairs, notamment à définir un seuil de temps passé distinguant normal et pathologique et des signes de sevrages lors des déconnexions, trop flous et peu spécifiques (Starcevic et al. 2017, Fineberg et al. 2018),
  • pas d’échelles validées évaluant les d’addiction aux écrans qui fasse consensus,
  • en conséquence, difficultés à réaliser des études épidémiologiques, faute de critères et d’outils reconnus,
  • critique récurrente : si addiction il y a, elle n’est pas au média (Internet) mais aux contenus : addiction à tel ou tel jeu vidéo, aux jeux d’argent (gambling), à la pornographie, proches des addictions sexuelles, aux réseaux sociaux (chats), aux achats, proches des achats compulsifs, cybercondrie (recherches d’informations online sur des maladies imaginaires, proches de l’hypochondrie), etc (Starcevic et al. 2017, Fineberg et al. 2018),
  • pour de nombreux auteurs, les addictions aux écrans recouvrent donc des comportements trop hétérogènes pour être conceptualisés sous un seul terme ou un seul concept.
 Ou réalité ?
Et pourtant, le concept d’addiction aux écrans semble bien s’appliquer à certains sujets. Les critères les plus pertinents sont, comme pour les addictions aux substances, le craving, la perte de la maitrise ou du contrôle des comportements pathologiques. Les addictions aux écrans sont associées à des troubles de la mémoire de travail et des troubles de l’inhibition (Ioannidis et al. 2019).

Des jeux potentiellement addictifs ?
Comme l’alcool et les drogues, certains jeux actuellement en vogue ont des propriétés intrinsèquement addictogènes et favorisent les troubles définis dans la CIM-11, par exemple :
  • « Fornite » https://www.epicgames.com/fortnite/fr/home : le système de boutique d’achats est renouvelé quotidiennement. Il n’est plus disponible le jour suivant, ce qui incite à jouer tous les jours. Des systèmes de saisons et d’événements temporaires durant un ou plusieurs jours nécessitent de jouer très longtemps pour débloquer tout le contenu.
  • Les jeux type « Diablo » https://eu.diablo3.com/fr/ , « Path of exile » https://www.pathofexile.com/game favorisent le « binge gaming » par un système de nouvelles saisons avec un « reset de classement » tous les 3 mois, ce qui entraîne une compétition importante entre les joueurs, pouvant favoriser des temps de jeu supérieurs à 20 heures par jour pendant plus d’une semaine pour les plus compétitifs.
  • « League of legend » https://play.euw.leagueoflegends.com/fr_FR : une compétition avec des classements par ligues de joueurs favorise des temps de jeu de plus en plus importants. Il peut aussi favoriser la stigmatisation, voire l’humiliation et le harcèlement des joueurs n’arrivant pas à atteindre les niveaux espérés (ligue bronze, argent, or, platine, etc).
  • Ces comportements peuvent être accentués par le streaming, vidéos live de joueurs de haut niveau en train de jouer, visibles par exemple sur TV. https://www.twitch.tv Les autres joueurs sont incités à se comparer aux meilleurs, généralement sans pouvoir les rattraper.

Des comorbidités psychiatriques fréquentes

Comme dans les addictions traditionnelles, de nombreuses études dans les addictions aux écrans  ont retrouvé des fréquences élevées de comorbidités psychiatriques : troubles anxieux, notamment anxiété sociale, troubles dépressifs, autres addictions, TDAH, troubles du sommeil, etc. (Fineberg et al. 2018).

Des analogies neurobiologiques

De nombreuses similitudes structurales et fonctionnelles en imagerie cérébrale, impliquant notamment les cortex orbitofraontaux, les cortex frontaux inférieurs, les régions cingulaires et le striatum, ont été retrouvées entre les addictions aux écrans et les addictions aux substances ou aux jeux d’argent (Fineberg et al. 2018). Des études longitudinales telles que l’étude ABCD en cours permettrons sûrement d’en comprendre les mécanismes.

Pour aller plus loin

On le voit bien, de nombreuses questions restent en suspens. Au CFP de Nice, le symposium « Les écrans – Écran(s) total : faut-il s’inquiéter des addictions ? » contribuera sûrement à éclaircir ces questions.