C2 – Les médias peuvent-ils transmettre le savoir de la médecine ?
Président : Georges BROUSSE – Clermont-Ferrand
Conférencier : Dominique WOLTON – Paris

On l’a vu récemment… On peut entendre tout et son contraire, même dans la bouche des pros… ! Au cours de la dernière pandémie, par exemple… on a parfois entendu deux experts médicaux, invités au même moment sur deux plateaux TV différents, donner des infos scientifiques contradictoires… Qui croire ? Qui en 2022 pour transmettre le savoir de la médecine ? Quel rôle pour les media dans ce travail de transmission du savoir ?

Pendant longtemps, le journaliste médical s’est contenté de transcrire, dans un langage vulgarisé et accessible pour le grand public, les actualités ou données scientifiques et médicales.  En revanche, on observe maintenant, de plus en plus, une nécessité pour ce dernier d’assurer, de manière additionnelle, un rôle de triage et d’orientation de l’information face à une masse de données scientifiques toujours croissante et parfois contradictoire. En effet, la connaissance scientifique ne fait que croitre (1) et se renouvelle rapidement : la connaissance mondiale doublerait environ tous les 9 ans et son obsolescence serait rapide (avec une durée de vie des recommandations d’environ 5 ans selon le NIHCE (National Institute for Heath and Care Excellence) et environ 80 % de recommandations toujours actives à 1 an selon le Collège Américain de Cardiologie). Pire encore, près de 70 % des résultats scientifiques publiés par une équipe de recherche donnée ne seraient pas reproductibles par d’autres équipes, et seraient même parfois partiellement falsifiés ou « embellis » dans une logique de « publish or perish », décriée mais souvent incontournable dans les milieux universitaires. Ainsi, la parole scientifique tend à pouvoir devenir controversée quand elle est, de surcroit, véhiculée par des médias accusés d’être fréquemment instrumentalisés, en témoigne l’étendue actuelle des opinions complotistes. Dans ce contexte, les médias « sociaux » (notamment les réseaux sociaux proposant parfois des témoignages ou expériences vécues ou rapportées, plutôt que des résultats de travaux scientifiques) semblent représenter un relai d’informations de plus en plus plébiscité, quitte souvent à échapper à toute forme de contrôle.

Information-fluid

De plus, l’information scientifique « brute » est souvent trop technique pour le grand public (et parfois aussi pour les médecins) et nécessite d’être synthétisée, « digérée »… Pour les professionnels de santé, les sources d’information scientifique évoluent également. Ainsi, selon la FNIM (Fédération Nationale de l’Information Médicales) (2), les pratiques médicales concernant l’information scientifique ont aussi évolué ces dernières années, pour plusieurs raisons : la féminisation de la profession médicale (qui s’informerait davantage via les supports numériques tels que les webinars et sites internet, notamment d’information générale, et moins via la visite médicale), la bascule vers le digital (d’accès facile mais offrant souvent une information surabondante peu synthétique) plus marquée lorsque le praticien est jeune. Maintenant, le patient hyper informé (« hyper connecté ») pousse, de surcroit, son médecin à s’informer, souvent rapidement (sans lui laisser le temps d’une recherche poussée et approfondie).

Coming-out psychiatrique

Par ailleurs, notre discipline, la psychiatrie, souffre d’une image souvent proche des patients qu’elle représente : totalement stigmatisée voire souvent erronée… ! La représentation des pathologies mentales, de l’environnement psychiatrique et des psychiatres telle que proposée par le cinéma ou les médias, est trop souvent caricaturale. On constate également que les articles scientifiques dans les revues psychiatriques à fort facteur d’impact n’intéressent pas forcément les journaux grand public et inversement. Il n’y a donc pas de lien entre la valeur d’une production scientifique et son retentissement médiatique ultérieur auprès du grand public. Les psychiatres devraient, de ce fait, médiatiser et vulgariser eux-mêmes leurs messages. Ce que font parfois très bien les stars, de nos jours, à l’heure des réseaux sociaux : le fameux « effet Zeta-Jones » (une sorte de « coming out » psychiatrique »), du nom de l’actrice de cinéma, qui médiatisa sa bipolarité et remporta un écho médiatique et une empathie/compassion individuelle beaucoup plus fortes que celui de n’importe quel psychiatre, aussi renommé soit-il. Plus récemment, Lady Gaga, dans une de ses chansons, a même explicitement fait la promotion « d’antipsychotique pour aller mieux », sans aucun tabou… Certains psychiatres prônent cette vulgarisation de la psychiatrie et des messages importants sur la santé mentale, avec des méthodes telles que la « cinéméducation » (utiliser des films du box-office pour la formation académique), « l’infotainment » (séries documentaires sur la santé mentale diffusées sur des chaines télévisées de loisir telles que Netflix) et le « celebrity marketing » (utiliser l’aura d’une star pour valoriser ou transmettre un message, comme Angelina Jolie et sa mutation BRCA1 qui a vu s’envoler le nombre de mastectomies préventives à l’échelle mondiale).

Vous l’aurez sans doute bien perçu, les « medias », terme finalement assez flou pour décrire un ensemble très hétérogène, pourraient tantôt être, des transmetteurs fidèles et sincères d’un savoir médical vulgarisé, des semeurs de troubles, clivants, à l’affut d’informations croustillantes et subversives, des alliés du corps médical, des détracteurs du savoir médical et scientifique…

Je m’arrête là…. A vous les studios, à vous Cognac-Jay !